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Trois modèles du psi

Trois modèles du psi

Tricksterandparanormal.jpgCet article est un extrait de l’ouvrage du chercheur George P. Hansen, The Trickster and the Paranormal. L’auteur vulgarise avec brio quelques notions assez complexes issues des recherches en parapsychologie orientées vers la compréhension des processus en jeu. Dans cet extrait, il se concentre sur trois modèles américains, après avoir détaillé quelques fondamentaux des théories du psi dans un autre article disponible ici.


Georges Hansen, Trois modèles du psi, The Trickster and the Paranormal, Philadelphia : Xlibris Books, 2001, p.331-341.

Entre 1970 et 1980, trois importants développements théoriques ont été introduits en parapsychologie : la théorique quantique d’Evan Harris Walker, le modèle de conformation du comportement de Rex Stanford, et les concepts de labilité et d’inertie proposés par William Braud. Il y en eut d’autres durant la même période, mais ces trois-là furent parmi les plus influents. Ces modèles sont particulièrement valables parce que leurs inventeurs étaient impliqués dans la recherche en laboratoire de leur époque. Standford et Braud furent tout deux des expérimentateurs actifs, et Walker maintenait un contact étroit avec les chercheurs dans leurs laboratoires, et c’est pourquoi leurs modèles ont guidé de nombreuses recherches expérimentales. Le champ parapsychologique a longtemps été sous le coup de philosophes ou d’autres penseurs donnant des opinions, des idées et des spéculations ayant trop peu de points de contact avec les données expérimentales. Le travail de Walker, Stanford et Braud fut un changement rafraîchissant.

La théorique quantique d’Evan Harris Walker

Evan Harris Walker était un physicien qui a travaillé pour l’U.S. Army à Aberdeen Proving Grounds dans le Maryland. Ses premiers articles théoriques ont commencé à apparaître en 1970, et il en a publié plusieurs depuis à propos de modèles de la mécanique quantique (MQ), de la conscience et du psi. Son travail a incité les autres chercheurs à proposer des alternatives, mais sa théorie fut la plus développée, et elle stimula beaucoup de discussions et d’expérimentations. En plus de la parapsychologie, son travail entrait dans la rubrique des « théories observationnelles », qui ont généralement une relation directe ou tangentielle avec la MQ. Le label « théorie observationnelle » est utilisée à tort et à travers, et Walker préférait ne pas l’employer.
Depuis sa création, la MQ a produit des difficultés conceptuelles qui ont favorisé de nombreuses interprétations concurrentes. Elle viole le sens commun ; elle pose des paradoxes ; elle renverse les notions de cause et d’effet. Un premier coup d’œil suggère qu’elle pourrait être pertinente pour comprendre les notions de prémonition et de PK rétroactive. En outre, dans certaines interprétations de la MQ, la conscience joue un rôle, permettant une possible influence d’un observateur humain.
Depuis des décennies, des spéculations sur la MQ et le psi sont apparues dans la littérature scientifique, philosophique et populaire. En 1956, le philosophe indien C.T.K. Chari publia un article intitulé « Physique quantique et parapsychologie » dans le Journal of Parapsychology[[Chari, C.T.K. (1956). Quantum Physics and Parapsychology. Journal of Parapsychology, vol.20, pp. 166-183.]]. En 1960, l’éminent physicien Pascual Jordan commentait cette possible relation dans l’International Journal of Parapsychology[[Jordan, P. (1960). Parapsychological Implications of Research in Atomic Physics. International Journal of Parapsychology, 2(4), pp.5-16.]], et dans les années 70 des connexions furent largement popularisées dans des livres tels que Les racines du hasard (1972) d’Arthur Koestler.
Le développement scientifique significatif commença dans les années 70 par le travail théorique de Walker et d’Helmut Schmidt. Comme il a été rapporté plus haut, Schmidt fut un pionnier dans l’utilisation de Générateurs de Nombres Aléatoires (GNA) électroniques pour des tests psi ; il proposa également des modèles théoriques. Walker se concentra sur les problèmes théoriques, et il produisit le corps de théorie le plus complet, avec des liens établis entre de nombreux domaines.
Dans la MQ, une controverse concerne ce qui cause le « collapse du vecteur d’état » ou, en d’autres mots, ce qui constitue « la mesure » ou « l’observation ». Bien que le concept de mesure soit un problème central, il n’est pas résolu de façon pleinement satisfaisante par les physiciens. Il y a plusieurs interprétations en compétition. Par exemple, certains suggèrent que la mesure est complète quand un appareil enregistre le résultat d’un processus quantique, mais tout le monde ne pense pas que ce soit suffisant. Certains avancent que quelque chose d’autre, peut-être la conscience humaine, est requis. Le sujet a été débattu durant des décennies, et Walker exposa le problème dans un long article, « La nature de la conscience », dans la revue Mathematical Biosciences en 1970, et l’année suivante il participa à un débat dans les pages de Physics Today à la suite de l’article « La conscience comme variable cachée ».

Walker remarquait que des processus quantiques pouvaient se produire dans le cerveau. Les synapses, les jonctions entre les neurones par lesquelles sont transmis les influx nerveux, incluent un interstice étroit entre les cellules appelé la fente synaptique. Walker calcula que la fente synaptique était suffisamment petite pour permettre aux électrons de la traverser via un tunnel quantique, un processus sujet à une incertitude quantique aléatoire[[Dans un article ultérieur, Walker révisa et étendit sa discussion des tunnels quantiques aux synapses. Cf. Walker, E.H. (1977). Quantum Mechanical Tunneling in Synaptic and Ephaptic Transmission. International Journal of Quantum Chemistry, 11, pp. 103-127.]]. Walker étendit ses idées, en estimant le nombre de synapses dans le cerveau, leurs taux de transmission, et le taux d’électrons passant dans les tunnels ; il quantifia les taux d’information pour l’inconscient, la conscience et également la volonté, dont il suggérait qu’elle était responsable du collapse du vecteur d’état. Il incorpora ainsi les processus cérébraux, la MQ et la conscience dans une formulation attirante.
Walker essaya d’appliquer ses idées au psi, et il soumit un article intitulé « Application de la théorie quantique de la conscience au problème des phénomènes psi » lors du congrès de la Parapsychological Association de 1972. Il proposa de considérer le psi comme causé par la volonté, le liant ainsi à sa théorie de la conscience et du collapse du vecteur d’état. Son modèle se focalisait sur les mesures de l’information, et il concevait à la fois l’ESP et la PK non pas comme des processus énergétiques, par lesquels de l’énergie est transmise, mais comme des processus informationnels.
En 1974, il présenta l’un de ses articles les plus intéressants, « Fondations de la paraphysique et des phénomènes parapsychologiques », au symposium de la Parapsychology Foundation sur la MQ. Dans cet article, Walker réanalyse les données de Haakon Forwald. Forwald était un ingénieur norvégien qui devint un citoyen naturalisé suédois et obtint plus de 500 brevets. Il a conduit des expériences sur la PK avec des cubes de différentes tailles et dans différents matériaux, afin d’étudier la part des paramètres physiques. Il commença en 1949, et ses articles apparurent dans les revues professionnelles à comité de lecture tout au long des années 50 et 60. Il collabora également avec de nombreux chercheurs de l’époque. Ses données étaient spécialement intéressantes parce qu’elles mesuraient quantitativement l’opération du psi en fonction de variables physiques.
L’équipement de Forwald lançait les cubes mécaniquement ; ils roulaient en bas d’une rampe et s’arrêtaient sur une surface plate où était imprimée une grille. Le sujet souhaitait que les cubes tombent plutôt sur un côté de la grille que sur l’autre, dépendamment du côté-cible désigné pour l’essai. On se réfère à cette procédure comme étant celle des « études du placement ». Après que les cubes se soient arrêtés, on mesurait leur distance par rapport à la ligne centrale et le côté où il se trouvait. Forwald découvrit que le matériel dont étaient faits les cubes affectait la déviation nette de la ligne centrale (en prenant en compte à la fois les succès et les échecs, c’est-à-dire sans prendre en compte le fait que le cube soit tombé du côté fixé comme cible pour l’essai). Il présumait que l’influence psi sur les cubes fluctuait selon les propriétés nucléaires des matériaux, et il développa quelques équations de forces mécaniques pour décrire les résultats.
Walker prit une perspective différente ; plutôt que d’analyser l’expérience selon les forces classiques, il utilisa la MQ. Le principe d’incertitude d’Heisenberg pose que la position d’une particule est connue plus précisément lorsque sa vitesse devient plus incertaine, et Walker calcula l’incertitude quantique pour les cubes. L’une des implications de ces calculs est que pour un nombre suffisant de rebonds, la position finale, c’est-à-dire la face du dessus, était en principe indéterminable. Cela veut dire que, même si on connaît la position initiale ainsi que toutes les forces agissant sur le dé, la face sur le dessus du dé dans sa position finale ne peut pas être calculée. Elle est, en principe, aléatoire. Cela permit à Walker d’étendre son modèle de la conscience en incorporant l’analyse des études de placement de Forwald. Walker calcula le nombre de déviations attendues par sa théorie et trouva une correspondance étonnamment bonne avec les données de Forwald.
Le travail de Walker attira une attention considérable, notamment celle de critiques. Dans le numéro de décembre 1984 du Journal of Parapsychology, il publia une longue réponse et expliqua un peu plus sa théorie. L’un des critiques était Martin Gardner, le parrain du mouvement sceptique, dont on parlera abondamment dans l’un des chapitres de ce livre. Dans un article de 1981, Gardner s’est opposé à l’utilisation par Walker des données de Forwald parce que Forwald servait souvent à la fois d’expérimentateur et de sujet[[Gardner, M. (1981). Parapsychology and Quantum Mechanics. In : Science and the Paranormal : Probing the Existence of the Supernatural, édité par G.O. Abell & B. Singer, p.64 (pp.56-69, 366-370). New York : Charles Scribner’s Sons.]]. Walker répondit qu’il y avait eu des réplications des découvertes de Forwald, et que les données avaient été publiées avant qu’il ne développe sa théorie. Ainsi, il est peu probable que la concordance entre la théorie et les données soit dû à un biais de la part de Forwald.
La critique de Gardner avait également ses failles, et il est possible qu’il n’ait pas très bien compris le débat entre les physiciens, comme Walker l’a illustré dans sa réponse. Par exemple, Gardner affirme que « dans la MQ, ce n’est pas l’observateur humain qui collapse le paquet d’ondes mais les instruments d’observation »[[Ibid, p.62. ]], un point qui est disputé par plusieurs prix Nobel. Dans une note de bas de page, il reconnaît que la position d’Eugène Wigner contredit la sienne, et Gardner semble ne pas avoir été au courant que Wigner pensait qu’il était possible que la conscience influence le monde physique, une idée que Gardner débat de façon véhémente dans son attaque de Walker[[Interview dans le numéro d’automne 1997 de Mathematical Intelligencer (p.39), « A Great Communicator of Mathematics and Other Games : A Conversation with Martin Gardner » par Istvan Hargittai, vol.19, pp. 36-40. Voir aussi : « Quantum Weirdness », par Martin Gardner, Discover, Octobre 1982, pp. 69-76.]]. Wigner avait émis cette idée dans un article de 1962, « Remarques sur la question du corps et de l’esprit », et il reçut le prix Nobel l’année suivante. Plus récemment, Gardner a de nouveau porté attention à la MQ, et critiqua un peu plus Wigner, en disant : « Je n’ai jamais apprécié son approche de la mécanique quantique… Selon le point de vue de Wigner, l’univers entier n’est pas ‘juste là’ avant que des humains ne l’observent. »[[Wigner, E.P. (1962). Remarks on the Mind-Body Question. In : The Scientist Speculates : An Anthology of Partly-Baked Ideas, édité par I.J. Good, A.J. Mayne & J. Maynard Smith, pp. 284-302. New York : Basic Books.]]
En tout cas, Gardner fut forcé d’admettre que si les suppositions de Walker se révélaient correctes, « un échafaudage existerait sur lequel bâtir une théorie de l’ESP et de la PK. »[[Gardner, M. (1981). Parapsychology and Quantum Mechanics.]] De plus, Gardner admit de mauvaise grâce que « la théorie de Walker rend également compte du fait embarrassant que les parapsychologues ont été incapables de détecter un effet PK sur une aiguille délicatement équilibrée… montrant que le sujet n’est pas un super-héros. »[[Ibid., p. 64.]] Provenant d’un tel débunker avoué, ces remarques peuvent seulement être vues comme un grand éloge.
En dépit du ton de Gardner typiquement condescendant et désobligeant, ses remarques mirent en avant des principes philosophiques sous-jacents et cruciaux. Même si Walker a largement réfuté Gardner, la critique de Gardner fut très utile pour son exposition, et plusieurs personnes m’ont dit avoir été plus impressionnées par la théorie de Walker après avoir lu la présentation que Gardner en avait faite.
Par ailleurs, la remarque de Gardner à propos de l’aiguille délicatement équilibrée conduit au problème de la macro-PK, un sujet que j’ai plutôt négligé dans ce chapitre. Presque touts les recherches parapsychologiques formelles se concentrent sur des expériences basées sur les statistiques (c’est-à-dire incorporant une source de hasard, comme dans la divination de cartes dans les tests d’ESP et les études PK avec des dés). Le lecteur doit se demander comment ces expériences et ces théories artificielles s’appliquent aux phénomènes de poltergeist ou à d’autres effets macro-PK, comme les lévitations de tables. Richard Mattuck, un physicien de l’Université de Copenhague, étendit la théorie de Walker dans ce but. En 1976, il présenta un article : « Théorie de la psychokinèse en tant que fluctuations aléatoires : le modèle du bruit thermique », et il collabora par la suite avec Walker sur quelques améliorations. Ils suggérèrent que l’esprit pouvait réorganiser l’énergie déjà disponible dans l’environnement, par exemple les mouvements aléatoires des molécules dus à la chaleur. Dans leur modèle, la conscience humaine impose une cohérence (un ordre ou une information) sur le bruit aléatoire. L’énergie utile en est le produit. Le modèle de Walker et Mattuck autorise seulement la lévitation d’un objet d’environ 10 grammes, mais ils indiquèrent une façon pour que des forces plus importantes puissent être impliquées, dans des révisions ultérieures de la théorie[[Mattuck, R.D. (1977). Random Fluctuation Theory of Psychokinesis : Thermal Noise Model. In : Research in Parapsychology 1976 : Abstracts and Papers from the Nineteenth Annual Convention of the Parapsychological Association, 1976 édité par J.D. Morris, W.G. Roll, & R.L. Morris, pp.191-195. Metuchen, NJ : Scarecrow Press. Mattuck, R.D. (1979). Thermal Noise Theory of Psychokinesis : Modified Walker Model with Pulsed Information Rate. Psychoenergetic systems, 3, 301-325. Mattuck, R.D., & Walker, E.H. (1979). The Action of Consciousness on Matter : A Quantum Mechanical Theory of Psychokinesis. In : The Iceland Papers : Select Papers on Experimental and Theoretical Research on the Physics of Consciousness : Frontiers of Physics Conference Reykjavik, Iceland November 1977 édité par A. Puharich, pp. 111-159. Amherst, WI : Essentia Research Associates.]].
Il y a une autre incompatibilité entre la macro-PK et les autres types de psi. Au contraire de l’ESP et de la PK détectées par les statistiques, la macro-PK apparaît être très limitée par la distance. Dans à peu près tous les cas, la personne supposée être responsable de l’événement se trouve à quelques mètres de lui.
Les phénomènes de macro-PK ont reçu peu d’attention des laboratoires de recherche, qui les regardent avec suspicion du fait de leur fréquente association avec la fraude. Il y a très peu de données quantitatives sur la macro-PK, et peu de théories l’expliquant ; la plupart ne considère que les effets statistiques. Le travail de Kenneth Batcheldor en est une exception. Ce psychologue britannique a passé des décennies à étudier la macro-PK dans des situations similaires à des séances spirites. Il a réuni des groupes pour tenir des sessions afin de produire de la macro-PK. Ils interprètent les phénomènes produits lors de ces séances non pas comme causés par des esprits de défunts, mais plutôt par les inconscients des participants. Batcheldor est mort en 1988, et en 1994 Patric V. Giesler compila et édita ses notes discutant ses idées théoriques. Certaines des questions saillantes incluaient l’ambiguïté, l’indétermination et l’élusivité. Les idées proposées sont congruentes, et même renforcent, les perspectives théoriques discutées dans ce livre[[En plus de Batcheldor, K.J. (1994). Notes on the Elusiveness Problem in Relation to a Radical View of Paranormality. (Compilé, édité et avec une préface et des notes de Patric V. Giesler). Journal of the American Society for Psychical Research, 88, 90-116 ; voir : Batcheldor, K.J. (1984). Contributions to the Theory of PK Induction from Sitter-Group Work. Journal of the American Society for Psychical Research, 78, 105-122.]].
Le psi apparaît être essentiellement indépendant de l’espace et du temps, mais si des personnes dans le futur peuvent influencer le passé (par précognition ou PK rétroactive), comment pouvons-nous savoir si une expérience est véritablement achevée ? Si une étude est conduite et publiée, est-ce que quelqu’un peut ensuite lire les résultats et les modifier ? C’est en quelques mots le problème de la divergence. C’est fondamentalement un problème de frontières et de limites, un de ceux qui ne se rencontrent pas dans la science classique. Le terme de divergence a été introduit par Helmut Schmidt dans un article de 1975, « Vers une théorie mathématique du psi »[[Schmidt, H. (1975). Toward a Mathematical Theory of Psi. Journal of the American Society for Psychical Research, 69, 301-319. ]]. Schmidt emprunta le terme à un problème de divergence analogue dans l’électrodynamique quantique[[Schmidt, H. (1984). Comparison of a Teleological Model with a Quantum Collapse Model of Psi. Journal of Parapsychology, 48, 261-276. Voir p. 263.]].
Plusieurs chercheurs ont proposé des idées pour limiter la divergence. Certains ont suggéré que seul le premier observateur causait un effet psi (par exemple, le sujet regardant un dispositif avec des lumières contrôlées par un GNA dans un test de PK), mais d’autres admirent que des contributions décroissantes provenaient des observateurs successifs. Walker argua que ces suggestions étaient simplement ad hoc et ne tenait pas compte de l’indépendance du temps et de l’espace. Il s’expliqua là-dessus dans le Journal of Research in Psi Phenomena (1977), avançant que non seulement les sujets mais aussi les expérimentateurs et les observateurs ultérieurs jouaient potentiellement des rôles. Il indiqua que n’importe quel résultat obtenu dans une expérience incorpore les effets des futurs observateurs, que l’expérimentateur ait peu ou pas de contrôle sur eux. Il conclut que, si c’était bien un problème, il n’était pas tellement grave[[Walker, E.H. (1977). Comparison of Some Theoretical Predictions of Schmidt’s Mathematical Theory and Walker’s Quantum Mechanical Theory of Psi. Journal of Research in Psi Phenomena, 2 (1), 54-70.]].
La question de la divergence fait ressortir deux domaines problématiques : la définition de l’observation, et l’aspect social du psi. Puisque la définition de « l’observation » n’est pas incluse dans le formalisme de la MQ, elle reste problématique et surtout dans son rapport à la conscience. Avec la parapsychologie, de nombreuses expériences explorent la notion d’observation en faisant varier la quantité d’information disponible pour l’observateur, en utilisant de multiples observateurs, ou en comparant l’homme et l’animal en tant qu’observateurs. Ce furent quelques tentatives pour voir, et le problème reste encore très ouvert à la spéculation théorique.
Dans la théorie de Walker, observer un événement (c’est-à-dire prendre conscience de lui) collapse la fonction d’onde, et c’est là que la PK peut opérer. Dans sa formulation, la conscience est essentiellement équivalente à la prise de conscience, même s’il admet qu’il ne l’a pas encore complètement définie, et que le concept requiert de plus amples développements. Une objection au modèle de Walker est que le psi apparaît souvent agir inconsciemment. Néanmoins la conscience semble impliquée d’une manière ou d’une autre, et elle peut jouer un rôle important, peut-être dans quelque limitation ou restriction du psi. Dans un certain sens, devenir complètement conscient d’un objet ou d’un événement le stabilise, dans l’esprit. Si l’événement fait l’objet d’une discussion, d’un portrait artistique, d’un écrit, il devient plus « ferme ». De telles représentations viennent porter attention à l’objet ou à l’événement ; la prise de conscience de celui-ci est augmentée. C’est à travers la représentation que les autres personnes peuvent apprendre ce qu’est cet objet ou cet événement.
Si la prise de conscience est requise dans l’opération du psi, cela active quelques connexions théoriques intéressantes. Etre conscient de quelque chose implique de le distinguer de l’arrière-plan, de faire une distinction. Devenir conscient comporte l’idée de la construction d’une représentation mentale ; une partie des processus cérébraux porteurs de l’information est allouée à la tâche. De sorte que le problème de la « représentation » peut être lié à la théorie de Walker. Dans presque toutes les sciences, la représentation ne pose pas problème ; les questions fondamentales qu’elle pose sont ignorées. A l’inverse, le problème est central en sémiotique et dans la théorie littéraire, et dans le jargon de la sémiotique, la théorie de Walker établit une connexion entre un signifiant et un signifié.
Le second point mis en avant par la divergence est que le psi a un aspect social : de multiples personnes peuvent affecter un événement paranormal. Dans la formulation de Walker, l’acte d’observer collapse la fonction d’onde, et c’est là que la PK opère. Quand plus d’une personne observe un événement (que ce soit dans le présent ou le futur), il y a un effet collectif du fait de l’indépendance du psi au temps et à l’espace. Signaler un événement à d’autres fait de ces personnes des observateurs, liés à lui.
Je n’ai pas connaissance d’un seul chercheur discutant la divergence explicitement en termes de facteurs sociaux, alors qu’elle suggère certaines connexions entre la parapsychologie et d’autres disciplines. Quand des groupes sont impliqués, les représentations sont faites collectivement, rappelant la notion de « représentations collectives » de Durkheim. Dans l’activité sociale, plusieurs niveaux de consensus et de cohérence sont requis, et la conscience peut également être vue comme une fonction collective, un processus social. Walker n’a pas élaboré ces implications de la divergence autant qu’il aurait pu, mais il a fait quelques propositions provocantes sur le consensus requis pour « les lois fondamentales de la nature »[[Ibid, p. 64.]].
Le thème de la divergence stimula la spéculation à propos du psi. Par exemple, des effets psi forts pourraient opérer de telle façon à ce que relativement peu de personnes en prennent connaissance. S’ils deviennent trop connus, leur nature ferait qu’ils seraient facilement rejetés. Ils ne pourraient paraître qu’entourés par la fraude, ou reportés seulement par ceux qui ont une réputation de crédulité. De façon similaire, ceci expliquerait pourquoi le secret et l’ambiguïté constitue l’environnement de nombreux groupes engagés dans des pratiques occultes. De telles spéculations peuvent être multipliées sans fin, et c’est pourquoi il sera préférable d’établir clairement les limites du psi.
La théorie de Walker était véritablement innovante ; c’était une déviation radicale par rapport aux théories antérieures. Il n’y avait rien de comparable en parapsychologie avant son arrivée. Comme tous les travaux importants et innovants, des révisions ont été faites et le seront encore, et des élaborations sont requises. La théorie reste controversée auprès des parapsychologues, et peut-être sera-t-elle au final pleinement rejetée. Toutefois, Walker aura produit plusieurs contributions exceptionnelles. Le plus important est peut-être qu’il a formellement introduit l’aléatoire et l’incertain dans les théories du psi. Il noua sa théorie aux processus physiques (comme la chute de dés ou l’activité cérébrale) d’une manière jamais accomplie auparavant, et il s’est considérablement appliqué à lier sa théorie avec les données quantitatives.
Enfin, Walker s’exprima directement sur certains des aspects les plus problématiques du psi, dont son indépendance à l’espace, au temps, à la complexité de la tâche. La théorie du psi qui s’imposera devra forcément s’accommoder de ces aspects.

La conformation du comportement de Rex Stanford

La théorie de Walker provenait de la physique, et ne fut pas immédiatement bien comprise dans les autres champs du savoir. Certaines de ses idées générales furent discutées par les parapsychologues, et une poignée de chercheurs ont commencé à les formuler en termes audibles pour des non-physiciens. L’un de ceux-ci fut le psychologue Rex Stanford, que j’ai présenté précédemment.
Dans les années 1970, Stanford a commencé à repenser les difficultés conceptuelles si épineuses du psi. Il interrogea les modèles traditionnels que plusieurs parapsychologues adoptaient implicitement, où l’ESP est conçue comme quelque chose qui se transmet, et la PK comme une capacité d’agir sur l’environnement. Le psi était généralement assimilé à un processus psychologique ou biologique (tel que la perception) impliquant une sorte de transmission (par la lumière, le son). Les conceptions traditionnelles font généralement référence à des modèles de transmission, de communication ou de psycho-biologie. Parfois cela est explicite dans leur théorisation du psi, mais la plupart du temps ce n’est pas le cas[[Stanford, R.G. (1977). Are Parapsychologists Paradigmless in Psiland ? In : The Philosophy of Parapsychology Proceedings of an International Conference Held in Copenhagen, Denmark August 25-27, 1976 édité par B. Shapin & L. Coly, pp. 1-16. New York : Parapsychology Foundation. Voir aussi : Stanford, R.G. (1978). Toward Reinterpreting Psi Events. Journal of the American Society for Psychical Researh, 72, 197-214.]].
Stanford proposa un modèle qu’il nomma « conformation du comportement ». Il s’efforça de simplifier et clarifier les composants essentiels des processus psi et les regarda d’un œil neuf, en mettant de côté les préconceptions usuelles. Son modèle fut formulé de façon abstraite ; il comportait deux parties : un système prédisposé et un Générateur d’Evénement Aléatoire (GEA). Par « système prédisposé », Stanford entendait un organisme qui avait un besoin ou une disposition (on peut présumer que son usage du terme « disposition » était plus compréhensible que celui de « besoin » car il incluait le versant négatif des humeurs, sentiments et attentes des humains). Par « Générateur d’Evénement Aléatoire », Stanford faisait référence à des systèmes comme celui discuté par Walker. Les processus aléatoires de Stanford étaient de ceux qui pouvaient affecter le système prédisposé, même de façon très indirecte. Le modèle de la conformation du comportement se passait de l’idée d’une émission et d’une réception d’une information. Il postulait simplement que le processus aléatoire affectait un événement en accord avec le système prédisposé. Le modèle ne spécifie pas comme cela arrive, mais dit seulement que cela arrive ; c’est ainsi que l’univers est construit.
Le modèle de Stanford ne requiert pas une intention consciente d’utiliser le psi, et il subsume le concept de synchronicité, c’est-à-dire de coïncidence significative. Stanford donna l’exemple d’une personne oubliant de changer de métro sur le chemin pour se rendre chez des amis. Du fait de cette perte de mémoire, la personne rencontra exactement les personnes qu’il planifiait de visiter. S’il avait été alerté et qu’il avait changé de métro, il aurait pu complètement rater ses amis. Ici, l’usager de métro avait le but (c’est-à-dire la disposition) de rencontrer ses amis. Des contingences variées firent que le résultat se conforma à son but.
Le modèle de la conformation du comportement de Stanford ne fut pas aussi développé que celui de Walker, et il fut critiqué, parfois de façon tout à fait justifiée, pour son manque de valeur prédictive. Mais ce qui manque ici, il le compense là avec sa clarté et sa simplicité. Il fut formulé dans des termes plus agréables aux psychologues et adaptés plus facilement pour leur test. Cela stimula des expériences qui autrement n’auraient pas été conduites, comme celles de Gruber, décrite précédemment. Le modèle de Stanford aida à insister sur ces nouvelles idées qu’étaient la nature orientée-vers-un-but du psi et le rôle fondamental du hasard.

La labilité et l’inertie par William Braud

William G. Braud est un psychologue qui fut un des expérimentateurs les plus prédominants en parapsychologie dans les années 70 et 80. Durant la plus grande part de cette période, il travaillait à la Mind Science Foundation de San Antonio, au Texas, avec Helmut Schmidt. Braud publia plusieurs expériences innovantes et réussies. Il fut le premier à publier une étude d’ESP en ganzfeld, même si on lui reconnaît rarement ce mérite[[Voir : Braud, W.G. (1982). The Time Sequence of Psi-Ganzfeld Experimentation (Letter to the editor). Journal of the American Society for Psychical Research, vol. 76, pp.194-195.]]. Braud était connu pour sa rigueur méthodologique. J’ai eu la chance d’être dans le comité de lecture de plusieurs de ses articles, et il était difficile de trouver beaucoup à en redire. Il entreprit son travail théorique avec une très bonne base empirique et de l’expérience (comme Victor Turner en anthropologie). Bref, il ne partit pas à partir d’un grand schéma philosophique.
Parce que Braud était connu comme un expérimentateur exemplaire, ses intuitions conceptuelles ont été largement négligées. Ses contributions les plus importantes traitent de la « labilité » et de « l’inertie ». La labilité est la capacité à être prêt au changement, « l’aise avec laquelle un système peut passer d’un état à un autre, la quantité de ‘variabilité libre’ dans le système »[[Braud, 1981, p.1.]]. L’inertie est son opposé : la tendance à résister au changement. Le modèle de Braud propose que la magnitude de l’effet PK devrait être directement relié à la quantité de labilité dans le système cible, et la probabilité d’un événement ESP devrait être proportionnelle à la quantité de labilité dans le cerveau ou l’esprit du percipient.
Braud a puisé dans les théorisations de Walker et Stanford, et a souligné explicitement leurs mérites. Son premier article sur le sujet s’intitulait d’ailleurs « Labilité et inertie dans la conformation du comportement », incorporant ainsi la formulation de Stanford[[Braud, W.G. (1980). Lability and Inertia in Conformance Behavior. Journal of the American Society for Psychical Research, 74, 297-318. Voir aussi : Braud, W.G. (1981). Lability and Inertia in Psychic Functioning. In : B. Shapin & L. Coly (Eds.). Concepts and Theories of Parapsychology : Proceedings of an International Conference Held in New York, New York December 6, 1980, (pp. 1-28). New York : Parapsychology Foundation.]].
Braud comprenait la labilité comme directement en lien avec le hasard, qui était central à la fois aux modèles de Walker et de Stanford. Il expliquait comment plusieurs systèmes et processus pouvaient être décrits en termes de labilité et d’inertie, et il présenta plusieurs évidences indiquant que le psi a plus d’influence sur des systèmes labiles par rapport à des systèmes inertiels. Le concept a une application très large, y compris dans des domaines pas tout de suite évidents. L’ESP dans les états de conscience modifiés en est un exemple. La méditation, la relaxation progressive, l’hypnose et les autres états modifiés ont montré qu’ils facilitaient l’ESP dans le laboratoire. Ils sont caractérisés par le fait de se focaliser vers l’intérieur, en diminuant l’attention portée sur les environnements extérieurs, physiques et sociaux. Les mondes physiques et sociaux ont une stabilité et une capacité à structurer et organiser l’attention d’une personne. Par contraste, dans le rêve ou la méditation, l’esprit peut rapidement sauter d’une idée à l’autre. Il y a moins de séquences cognitives dans ces états, et donc moins de structure. L’imagerie est labile ; elle change rapidement.
Le concept de Braud subsume également la recherche sur « les comportements d’évitement conduisant à des biais de réponse ». Dans les tests de divination de cartes, les sujets ont tendance à nommer certains symboles plus que d’autres. Ces symboles préférés constituent des biais de réponse ; les nominations (réponses) sont biaisées (les symboles ne sont pas nommés avec une fréquence équivalente). Quand un sujet nomme un symbole auquel il fait appel de façon relativement peu fréquente (c’est-à-dire lorsqu’il évite le biais de réponse), la divination sera probablement plus juste que pour les symboles nommés plus souvent. Ainsi, lorsqu’un sujet casse son habitude de réponse (c’est-à-dire la structure usuelle), l’ESP est plus à même de se manifester.
La nouveauté facilite également l’ESP. La nouveauté est, par définition, un changement dans un pattern antérieur. Dans plusieurs des expériences d’ESP avec des cartes et des études de PK avec des dés, la première partie de la session montre un score particulièrement élevé. Encore une fois, le début d’une session est une cassure par rapport à ce qui pu arriver auparavant. Si l’expérience continue, elle devient moins nouvelle et plus routinière, et les scores déclinent de façon caractéristique. Ainsi, les périodes de transition produisent de meilleurs scores que les conditions plus routinières.
Braud mena plusieurs expériences additionnelles afin de tester son modèle. Il mit en place une étude de PK avec deux cibles différentes : une flamme d’une bougie, et une lampe électrique avec un interrupteur. Un petit ventilateur était placé près de la flamme, causant son vacillement. La lampe électrique donnait une illumination plus stable. Le tout était placé sous le contrôle d’une cellule photo-électrique et un dispositif de mesure digitale affichait les variations de luminosité. Les sujets et l’expérimentateur étaient dans une autre pièce avec les dispositifs d’enregistrement bien visibles. Durant des périodes sélectionnées aléatoirement, on demandait aux sujets d’augmenter l’activité de la flamme ou de la lumière électrique, et dans d’autres périodes de la réduire. Grâce aux conditions différentes, une performance pouvait être évaluée statistiquement. L’analyse montra que les sujets influençaient la flamme de la bougie (la cible labile) mais pas la lampe électrique (la cible inertielle).
Braud utilisait fréquemment des organismes biologiques dans ses expériences de PK (cellules, petits animaux, humains). Selon lui, ils devraient être plus particulièrement appropriés du fait de leur variabilité et imprédictibilité naturelles. Les systèmes inanimés sont généralement moins labiles. Ses expériences avec des organismes en tant que cibles de PK furent plutôt couronnées de succès[[Pour une synthèse de certaines d’entre elles, Schlitz, M. & Braud, W.G. (1997). Distant Intentionality and Healing : Assessing the Evidence. Alternative Therapies, 3(6), Novembre, 62-73.]].
Le concept de Braud permettait de comprendre de nombreuses choses. Il intégrait et étendait les travaux de Walker et Stanford. Braud montra la valeur générale de ces idées et expliqua où elles s’appliquaient. Il discutait de systèmes physiques et biologiques mais ne porta pas l’idée à des niveaux plus élevés, comme pour de petits groupes de personnes, des sociétés et des cultures au sens large. Eux aussi montrent les mêmes caractéristiques.
Le modèle de Braud guida beaucoup ma pensée depuis que je suis devenu un professionnel actif en parapsychologie. Ses deux articles m’ont permis de voir les possibilités théoriques inhérentes du concept d’anti-structure de Victor Turner. « L’anti-structure » tout comme la « labilité » font référence à l’instabilité et à la transition, et elles suggèrent un lien au psi. De plus, le travail de Braud dépend de celui de Walker, qui se focalise sur l’information plutôt que sur l’énergie, la force ou le pouvoir. De la même manière, la conception d’Edmund Leach à propos de l’anthropologie structurale était également formulée en termes d’information. Le langage commun exprimant ces idées montre clairement que ces champs différenciés partagent des patterns similaires.