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Synthèse du mémoire de Kenny Cadinu

Synthèse du mémoire de Kenny Cadinu

Kenny Cadinu est le lauréat 2012 de la Bourse étudiants de l’IMI. Il propose ci-dessous une synthèse accessible du mémoire primé : « Tentative d’analyse critique de la parapsychologie : approche historique et psychanalytique des phénomènes psi », Université catholique de Louvain-la-Neuve, Master en Sciences Psychologiques, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, 2012.


Le travail que j’ai réalisé dans le cadre de mon mémoire sera ici synthétisé et se compose de trois axes de réflexions :
• Le premier, l’axe historique et scientifique, reprend l’histoire de la parapsychologie, des magnétiseurs Mesmer et Puységur, en passant par la naissance du spiritisme ou encore des premiers psychistes. On y retrouve également une courte revue de littérature, concernant certaines expériences probantes (notamment celles de Rhine ou de Honorton sur le Ganzfeld) qui ont été réalisées dans les laboratoires de parapsychologie.
• Le deuxième axe quant à lui propose, de par ma formation, une approche psychanalytique des phénomènes psi.
• Enfin, le troisième axe consistera en une analyse de trois séances de voyance. Je vais ici me concentrer sur un compte-rendu de ces deux derniers axes, en commençant par une explication de certains termes psychanalytiques qui seront utilisés dans ma tentative de théorisation.

La régression psychique

Ce concept correspond soit au retour du psychisme à un état antérieur, soit du passage d’un mode d’expression habituel à un mode plus primitif, soit au passage du système conscient à un système inconscient (Freud, 1987). Selon la théorie de Freud, il existe trois processus psychiques dans tout individu. Dans l’ordre, du plus conscient au plus inconscient : le secondaire, le primaire et l’originaire (Si, Ahmed, 2006) qui représente l’état le plus archaïque de la psyché, état que l’on peut retrouver chez le nourrisson entre autres, où la différenciation entre le Moi et le non Moi n’existe pas. Plus nous descendons la chaîne, et plus nous utiliserons des mécanismes de défenses ou de communications primaires et archaïques.

Position symbiotique, identification projective et introjection

La psychanalyste Margareth Mahler a théorisé (Ledoux, 1984) une phase de symbiose entre l’objet maternant et le bébé présente dans tous développements humains. Pendant cette période, les soins que la mère donnera à son petit seront d’une importance capitale pour le bon développement psychique de ce dernier. A un moment de la vie où le langage ne lui est pas encore apparu, l’enfant dispose de divers mécanismes typiques de cette phase pour tenter de communiquer à sa maman ses besoins du moment. Un de ces mécanismes a été théorisé par Mélanie Klein (Ciccone, 2007) sous le nom d’identification projective. Ce processus constituant, si utilisé à l’excès, un mécanisme de défense typique du psychotique, plusieurs auteurs dont Rosenfeld et Bion ont développé l’idée d’une identification projective normale qui servirait au nourrisson comme moyen de communication de ses affects, angoisses et besoins notamment. Par exemple, un éprouvé psychique comme une angoisse sera projeté par le bébé sur l’objet maternant, qui introjectera alors cet élément pour le transformer, le détoxiquer et le renvoyer à l’enfant d’une manière à ce que cet élément soit plus acceptable pour lui. Cependant, il est possible que la re-projection soit ressentie comme violente et intrusive par le nourrisson. Nous parlerons alors d’identification intrusive, avec son cortège d’angoisses paranoïdes et psychotiques que ce mécanisme engendre.

La résistance psychique

Une fois que l’individu évolue, ces processus qui ont pris naissance dans une période archaïque de notre être sont plus ou moins profondément enfouis en chacun et ce dans le but d’empêcher au maximum la remontée d’angoisses ou d’affects négatifs. Pour cela, notre psychisme utilise nombre de mécanismes de défenses (dont le plus connu est le refoulement) qui font office de barrières, de résistances face à la remonté à la conscience de ces éprouvés. Ainsi, nombre d’éléments ne nous parviennent pas pendant l’état vigile, conscient, mais profitent de situations où notre état est plus inconscient (comme pendant le sommeil, les rêves étant la manifestation de ces contenus) pour remonter à la surface.

Et le psi dans tout ça ?

C’est dans cet ordre d’idées que nous postulons qu’une régression psychique est nécessaire à la manifestation du psi (dans le cas qui nous concerne la réception d’un envoi télépathique). Cette régression aurait pour but, en cassant les résistances psychiques jusqu’alors mises en place, de passer d’un état conscient à un état plus inconscient afin de nous permettre l’utilisation spécifique et maximale de mécanismes primaires tels que l’identification projective (pour l’envoi d’un message télépathique) ou l’introjection (pour la réception de cet envoi). Notons que nous parlons d’identification projective et non de simple projection car celle-là nécessite un lien d’empathie entre les deux individus, lien empathique que l’on peut retrouver dans une relation de type symbiotique, favorisant la régression.

L’expérimentation

Organisation de l’étude et participants

Dans le cadre de notre recherche, en relation avec les concepts vus dans l’axe deux, nous postulons comme hypothèse que les divinations énoncées par les voyantes à leurs consultants sont le résultat d’une transmission télépathique (par identification projective) et inconsciente d’affects, d’éprouvés psychiques plus ou moins embarrassants ressentis par le consultant et projetés par ce dernier sur la voyante. Ceci étant favorisé notamment par une relation symbiotique de qualité entre les deux protagonistes, permettant la régression psychique jugée nécessaire à la manifestation d’un phénomène psi (ici la télépathie).
J’ai donc analysé trois séances de voyance en temps réel, chaque fois avec une voyante et un consultant différents. Les voyantes ont été contactées grâce à une association, tandis que les consultants, que je connais personnellement, ont été choisis sur la base de leur croyance au paranormal (croyant, neutre et sceptique). Dans le but de récolter des informations et de les comparer avec le matériel récolté lors des séances, j’ai réalisé, avant chacune d’entre elles, un pré-entretien avec chaque consultant ainsi qu’un post-entretien directement après la séance. Afin d’analyser la relation transférentielle entre le consultant et la voyante et d’observer tous les éléments pouvant relever de la métacommunication, j’étais physiquement présent lors de ces trois séances. Je suis néanmoins conscient de l’impact que ma présence a pu avoir sur l’expérimentation et en ai donc tenu compte lors de mon analyse.
Pour l’analyse, je propose de repérer principalement des éléments de vie ou des descriptions cités par les voyantes afin de les comparer avec les informations récoltées dans les deux entretiens réalisés avec les consultants.

1ère séance : neutre vis-à-vis du paranormal

Pour la première séance, je retiendrai que la voyante a énoncé tout d’abord les problèmes respiratoires de la consultante (problèmes avérés étant donné que cette dernière souffre de polypes nasales) ainsi que sa problématique des ganglions gonflés (ce qui est également un fait avéré).
Sans postuler une explication par transmission télépathique d’affects, car dans ce cas-ci de nombreux moyens métacommunicatifs ont pu être utilisés, cette divination semble finaliser l’accrochage, permettant la relation symbiotique entre les deux sujets et, par conséquent, la régression psychique nécessaire. Viendra ensuite la lecture des cartes du tarot. La grande majorité du temps, et ce dans les trois séances analysées, c’est le consultant qui tire les cartes que la voyante aura préalablement mélangées (un peu à la manière de la thérapeutique analytique, où c’est le patient qui dispose en lui-même de ses propres forces de guérison). Cette dernière procède alors à la lecture des cartes choisies. Je retiens, dans le cadre de cette séance, un élément cité par la voyante suite à cette lecture qui est l’ « accident » de contraception que la consultante a vécu quelques jours auparavant avec son compagnon. Connaissant, par les informations récoltées, la crainte de la consultante à devoir enfanter un jour, je postule ici comme explication à cette divination une transmission télépathique de cette crainte de la part de la consultante sur la voyante. Ainsi, juste avant l’énonciation de cette crainte, la consultante mentionnait sa peur de ne pas trouver, dans le futur, un travail rémunéré. Il me semble que dans le but d’une certaine harmonie, disposer d’un travail rémunéré est nécessaire s’il on veut devenir parent. Dans cet ordre d’idée, j’émets hypothèse que l’énonciation par la consultante de sa propre crainte de ne pas trouver un travail a activé chez cette dernière la crainte d’avoir un jour un enfant. Vu le caractère dérangeant de l’affect mais non exprimé verbalement, ce dernier sera alors transmis télépathiquement par la consultante sur la voyante par identification projective. Autre hypothèse : l’inquiétude socio-professionnelle exprimée a été un indice suffisant pour que la voyante déduise une crainte latérale autour de la parentalité.

2ème séance : sceptique vis-à-vis du paranormal

Je m’attarderai, dans le cadre de cet article, à une énonciation particulièrement pertinente de la voyante, qui concerne le surnom du père du consultant (« ours »). Avant cette divination, il sera énoncé par la voyante la future infidélité présumée du consultant. Ceci aurait eu pour effet, selon moi, l’activation et la projection par le consultant d’une représentation symbolique de l’objet paternel, captée par la voyante et ressortant sous la forme du mot « ours » : l’énonciation de la future infidélité du consultant aurait eu comme conséquence une régression psychique de ce dernier vers des moments où l’interdit n’était pas encore intégré (interdit étant lié à l’objet paternel), avec pour conséquence un effet de castration ressenti par le consultant, la fidélité étant pour celui-ci une de ses plus grandes valeurs. L’effet désagréable de cet éprouvé psychique comportant une charge symbolique de l’objet paternel aurait alors été transmis par le consultant sur la voyante, témoignant par après sa remontée sous la forme de l’énonciation par cette dernière du surnom du père du consultant.
Le second élément intéressant de cette séance aura été l’énonciation par la voyante de faits ne correspondant absolument pas au consultant mais me correspondant à moi particulièrement. Ceci m’a interpellé de par le fait que ces deux énonciations constituent les deux seules erreurs de la voyante durant toute la séance, mais également du fait du caractère largement insistant de la voyante, comme si elle avait réellement perçu quelque chose. Un de ces faits est la rupture sentimentale que j’ai connue quelque temps avant cette séance. La voyante, croyant que cette info concernait le consultant, a énoncé une rupture de ce dernier, rupture suite à une relation de 2 ans et qui serait toujours d’actualité. Je sortais en effet d’une relation de deux ans, ceci étant encore largement présent dans mon psychisme de l’époque. Si nous considérons, pour une raison qui reste obscure, que j’aurais projeté télépathiquement, au dehors de moi, ces affects ressentis comme douloureux, il nous faut souligner alors toute l’importance des effets « indésirables » des processus psychiques inconscients de l’expérimentateur et ce dans les expérimentations psi, mais également dans toutes expérimentations en général.

3ème séance : croyante au paranormal

La troisième séance analysée sera le témoin d’un accrochage raté entre la consultante et la voyante. Cela vint enrichir ce travail en nous permettant de théoriser les sentiments intrusifs, et donc des angoisses se rapprochant de celles vécues dans la psychose (ou dans la toute petite enfance), que le psi peut faire émerger. Dès le début de cette séance, et tout du long, j’ai pu remarquer que la consultante est restée fortement sur la défensive pendant que la voyante ne faisait certainement pas preuve, ce jour-là, du « tact » nécessaire à l’établissement d’une relation fusionnelle de qualité.
Nous parlerons ici d’identification intrusive, concept théorisé par Donald Meltzer et qui désigne la forme pathologique de l’identification projective. Bien que la voyante énonçait des choses correspondant à la vie de la consultante, cette dernière restait quoi qu’il arrive sur ses cartes, et avoua par la suite avoir ressenti ce côté intrusif et donc angoissant de la relation : « Je me suis sentie très mal à l’aise, cette bonne femme a essayé de fouiller des choses en moi alors que je ne lui ai peut-être pas donné l’autorisation ».
Si nous reprenons la théorisation de Bion, les éléments bêta envoyés par la consultante (par le langage oral, la métacommunication et la transmission télépathique de pensées) n’ont pas pu être détoxiqués (notamment à cause d’un cadre mal choisi et de renvois quelque peu maladroits) par la voyante comme la consultante aurait voulu qu’ils le soient, provoquant par conséquent un sentiment d’intrusion. En second lieu, nous postulons que la tentative par la voyante d’établir une relation de proximité a pu provoquer chez la consultante une réminiscence de la symbiose à l’objet maternant vécue par tout individu dans sa prime enfance, symbiose que tout être humain « sain » a su en partie déjouer pour s’individualiser. Aspect symbiotique ressenti ici comme menaçant par la consultante car témoignant de certains mécanismes archaïques de types psychotiques, appréhendés dans des temps lointains mais refoulés et donc gênants, lors de leur remontée, pour le psychisme de l’individu. Sentiment de type psychotique de tentative de prise de possession de soi par l’objet, angoisse de type paranoïde qui est, je précise, dans le cas qui nous concerne, non pathologique mais un vécu tout à fait « normal ».

Conclusion

Nous ne reviendrons pas sur l’hypothèse de départ et les mécanismes supposés utilisés pour une transmission télépathique. Ces derniers ont largement été expliqués dans les lignes ci-dessus et le matériel recueilli ne nous permet pas d’infirmer ou d’affirmer notre hypothèse.
Néanmoins, le dernier fait analysé (lors de la troisième séance) nous montre le caractère relativement angoissant que le psi peut prendre quand il se manifeste à la conscience. Ainsi l’individu peut être sujet à des sentiments de pertes des limites du temps (précognition) et de soi (télépathie, comme vu précédemment). Pourtant, ces vécus ne doivent pas être considérés comme pathologiques en soi, le psychisme humain oscillant tout au long de sa vie d’un versant psychotique à un versant névrotique, ce qui pourrait caractériser sa prétendue normalité.
Ces vécus sont fréquemment assimilés à des manifestations pathologiques de la psyché. Cela n’est pas dénué d’effet sur la façon dont chaque individu peut s’approprier ces expériences dans sa conception de la réalité. Les influences culturelles y jouent à plein. Car il est sûr que, de par le monde, des civilisations ont intégré dans leur appareil symbolique de pensée certaines choses qui sont considérées dans notre culture comme étant au-delà de la normalité. Celle-ci nous est toute relative, façonnée par des siècles d’histoire, elle ne constitue in fine qu’une possibilité parmi tant d’autres. C’est ainsi, et je m’adresse en particulier à mes collègues psychologues, qu’en tant que « guérisseurs » de l’âme, nous nous devons d’aider du mieux possible les patients que nous rencontrons à intégrer ces évènements « paranormaux » dans leur système symbolique de pensée, ce dernier ayant été culturellement formaté pour refuser ce genre de phénomènes, alors même que leur fond de réalité est toujours en discussion.

Bibliographie

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