Par Marcello Truzzi
Zetetic Scholar, n° 12-13, 1987
Au fil des années, j’ai souvent décrié la mauvaise utilisation du terme « sceptique » lorsqu’il est utilisé pour faire référence à l’ensemble des critiques de prétendues preuves d’anomalies. Hélas, le terme a été mal employé autant par les partisans que par les critiques du paranormalLe champ des phénomènes susceptibles de relever de la paranormalité est plus ou moins étendu suivant l'idée même que l'on se fait de ce qui est censé être normal ou pas. Une fois éliminé ce qui relève de l' « anormal » et qui renverrait plutôt au dérèglement, voire au pathologique, il reste un domaine assez vaste de phénomènes ou d'expériences étranges, difficilement explicables, qualifiés bien souvent de paranormaux. Les limites de ce corpus de phénomènes sont destinées à être floues puisqu'elles dépendent étroitement de l'idée qu'à une époque et dans une culture données on se fait du «normal », de l'« explicable» et du «possible ». Prenons un premier exemple, bien connu des historiens des sciences. On a longtemps considéré que les météorites n'existaient pas, puisque des «pierres ne pouvaient pas tomber du ciel ». Pourtant de nombreux témoignages rendaient compte de leur existence, avant que la science classique ne les reconnaisse. Ces « pierres » semblent paranormales pour qui ne dispose pas des concepts adéquats permettant de les accepter en tant qu'objets «dignes de science ». Un deuxième exemple aidera à comprendre le relativisme indispensable dès que l'on tente d'appréhender culturellement la paranormalité. Dans les sociétés traditionnelles africaines, il est très classique de considérer qu'à l'aide de pratiques sorcières un sort ait pu être jeté, faisant ainsi une ou plusieurs victimes. L'idée de l'influence occulte à distance ne pose alors pas problème et fait partie des faits possibles, repérés comme causes envisageables du mal et du malheur. L'action sorcière est donc exclue d'une logique paranormale stricto sensu puisque complètement intégrée dans les croyances populaires. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, pour bon nombre de nos contemporains vivant en Europe occidentale, cette conviction est encore très présente. Une fois posé ce nécessaire relativisme, il semble que l'on puisse dégager à notre époque quatre manières dominantes d'aborder le concept de paranormal: « sceptique », «fourre-tout », «parapsychologique» et « holistique ». Pour les sceptiques, le paranormal n'existe pas en tant que tel. Il renvoie à d'autres catégories. Le paranormal n'est qu'apparent. Il peut s'agir en fait d'illusions, de trucages consciemment organisés ou de perceptions inconscientes dont d'éventuels témoins ont été victimes en toute bonne foi. Dans cette optique, des faits inexpliqués peuvent bien être reconnus, surtout s'ils sont reproductibles, mais ils doivent trouver leur place au sein d'interrogations portées logiquement par la science. Les tenants de cette manière d'envisager les choses sont souvent qualifiés de «scientistes», tant ils semblent attachés à une vision du réel correspondant exclusivement aux données les plus classiques et reconnues de la science. Leurs références privilégiées se trouvent du côté d'une épistémologie se définissant comme «cartésienne» ou «rationaliste ». Ce qui n'est pas sans poser question. En effet, en choisissant de délimiter d'une façon plus ou moins arbitraire des objets d'étude considérés comme rationnels et d'autres qui, ne l'étant pas, ne méritent pas que l'on s'y attarde, il n'est pas dit que l'on choisisse le camp de la raison. Le risque encouru est de se débarrasser d'un certain nombre de phénomènes gênants au prix d'une amputation d'un réel que l'on peut supposer toujours plus complexe que l'idée que l'on peut s'en faire. En France, Henri Broch est sans doute le représentant le plus connu de ce courant de pensée s'appuyant sur la « zététique », se voulant « science du doute ». À l'apparent opposé de l'approche précédente, le paranormal est parfois envisagé comme un gigantesque fourre-tout, où tout «mystère» est traité sur un pied d'égalité et dans une logique du « tout existe et tout est ton », sans réflexion épistémolologique sur le niveau de réalité susceptibles d'être mis en jeu suivant les «faits » invoqués. Se côtoient, pêle-mêle, les phénomènes dits paranormaux étudiés par les parapsychologues, la cryptozoologie (étude des animaux rares et mystérieux), l'ufologie et, d'une façon plus large, tout phénomène réputé extraordinaire, inexplicable ou mystérieux: triangle des Bermudes, archéologie sacrée, civilisations disparues, ésotérisme, occultisme, sociétés secrètes, etc. Dans ce cadre, où dominent l'amalgame et l'hétérogénéité, les phénomènes étudiés sont accueillis au milieu d'un ensemble baroque qui pèche indiscutablement par son manque d'unité, du moins vu sous un épistémologique. En revanche, en terme sociologique on pourrrait reconnaître une certaine pertinence de recoupement. En effet, le même statut parascientifique réservé à l'ensemble des phénomènes concernés (puisque dans l'optique scientiste évoquée précédemment « rien n'existe et rien n'est bon »). De plus, des travaux sociologiques ont bien montré la proximité des représentations et croyances que l'adhésion à plusieurs de ces phénomènes implique. Très souvent, le terme « paranormal» est employé de façon plus restrictive pour désigner les phénomènes dits paranormaux étudiés par les parapsychologues, regroupant essentiellement les phénomènes de perception extrasensorielle (ESP : télépathie, clairvoyance, précognition) et les phénomènes de type physique (psychokinèse). L'approche parapsychologique tente d'établir des liens entre les expériences réalisées en laboratoire ayant permis d'asseoir les catégories précédentes et un certain nombre de phénomènes du «paranormal spontané ». La question pertinente pour les chercheurs en parapsychologie consiste à se demander si, devant des faits ou des témoignages non ordinaires, on ne se trouve pas en présence de phénomènes paranormaux observés in vivo. La lévitation n'est-elle pas pas à rattacher à une forme particulière de macropsychokinèse ? Dans la pratique des voyants peut-on repérer des compétences paranormales correspondant à des phénomènes de type ESP? Les parapsychologues restent ouverts mais prudents devant des faits s'éloignant de leurs objets d'études et des interprétations se détachant trop d'une pensée authentiquement rationnelle ce qui les différencie des approches différentes. La dernière manière d'envisager le paranormal peut être considérée comme une variante de la précédente mais s'en différenciant suffisamment pour en être démarquée. Reconnaissant les mêmes phénomènes que les parapsychologues « classiques » mais préocuppés par une théorisation globale et donc à prétention holistique, à défaut d'être définitive, certains chercheurs s'éloignent de l'expérimentation de laboratoire et de la question de la preuve. Ils considèrent cette dernière comme définitivement acquise ou pensent qu'elle n'est pas pertinente épistémologiquement. Ils se tournent alors préférentiellement vers les données tirées de l'expérience subjective pour tenter diverses synthèses à coloration psychologique, philosophique, voire religieuse, suivant les auteurs. Ainsi Philippe Wallon tente de théoriser à travers le concept des «niveaux du mental », un élargissement de l'inconscient associée à des éléments : la philosophie orientale. François Favre privilégie quant à lui le concept d'« intentionnalité» comme moteur de l'émergence du paranormal. D'autres auteurs, à la sensibilité proche du mouvement New Age, n'hésitent pas à associer d'une façon syncrétique plus ou moins rigoureuse des considérations scientifiques (la physique quantique est très souvent convoquée pour la circonstance), philosophiques et spirituelles intégrant des éléments paranormaux. Pour terminer, il paraît utile de tenter de rapprocher le paranormal, concept complexe et polysémique, de certaines catégories théologiques. Le paranormal est trop souvent associé au sumaturel, comme il peut l'être au contraire au diabolique. C'est sans doute à la méconnaissance des travaux parapsychologiques, tout autant dans les milieux ethnologiques, psychanalytiques que théologiques, que l'on doit ce type de confusions et d'amalgames, parfois lourds de fâcheuses conséquences (notamment dans le cadre de certaines prises en charge thérapeutiques, d'accompagnements spirituels ou de pratiques d'exorcismes). Ne serait-il pas plus judicieux de considérer les phénomènes dits paranormaux comme relevant d'un « naturel non ordinaire », voire de la catégorie du «préternaturel»? Il n'est pas question de clore ici un débat qui mérite mieux que la place académique limitée qui lui est aujourd'hui accordée. {Par Paul-Louis Rabeyron (extrait du dictionnaire des miracles et de l'extraordinaire chrétien, rédigé sous la direction de Patrick Sbalchiero, Fayard, 2000)}. Parfois les usagers du terme ont distingué ce qu’on appelle des sceptiques « modérés » par opposition à des sceptiques « durs », et j’ai en partie ravivé le terme de « zététique » à cause du dévoiement du terme. Mais je pense que les problèmes générés dépassent aujourd’hui la simple terminologie et que les choses doivent être mises au clair. Le « scepticisme » faisant précisément référence au doute plutôt qu’à la dénégation – l’incrédulité plutôt que la croyance – les critiques adoptant une position négative plutôt qu’agnostique mais continuant à se qualifier de « sceptiques » sont en fait des pseudo-sceptiques et ont, je pense, acquis un avantage indu en usurpant ce terme.
En science, la charge de la preuve repose sur celui qui a la prétention de quelque chose ; et plus une revendication est extraordinaire, plus est importante la valeur de la preuve attendue. Le véritable sceptique adopte une position agnostique, considérant que la revendication peut n’être pas encore prouvée plutôt que de la considérer comme réfutée. Il considère que celui qui revendiquait la réalité de l’anomalie n’a pas apporté de preuves suffisantes et que la science doit donc continuer à élaborer son modèle cognitif de la réalité sans incorporer la revendication extraordinaire comme s’il s’agissait d’un nouveau « fait ». Le véritable sceptique n’affirmant rien, il n’a pas le devoir de prouver quoi que ce soit. Il continue simplement à utiliser les théories établies de la « science conventionnelle » comme il le fait d’habitude. Mais si un critique affirme qu’il existe une preuve réfutant un phénomène, qu’il a une hypothèse négative – en disant, par exemple, qu’un résultat apparemment favorable à l’hypothèse psiThouless et Wiesner ont introduit en 1942 lexpression "Phénomène psi" (et non "psy"), de la lettre grecque Psi, qui se voulait un terme neutre simplement destiné à désigner le "facteur inconnu" dans les expériences de parapsychologie, en opposition avec les communications sensori-motrices habituelles. On utilise ainsi le terme psi comme signifiant de façon générale une communication anormale avec lenvironnement (perceptions extra-sensorielles ou psychokinèse). On utilise fréquemment en parapsychologie les expressions de sujet psi, de perceptions psi et de phénomènes psi. était en fait dû à un artefact – il affirme une prétention et doit par conséquent en assumer la démonstration. Parfois, de telles affirmations négatives de la part de critiques sont aussi relativement extraordinaires – par exemple, qu’un ovni était en fait un plasma géant, ou qu’un sujet d’une expérience parapsychologique aurait été aidé par une capacité d’audition anormale lui ayant permis d’entendre ce que d’autres oreilles normales ne seraient pas parvenues à remarquer. Dans de tels cas, la personne faisant des affirmations négatives pourrait donc avoir à apporter des éléments de preuve plus difficiles à produire que ce à quoi l’on pourrait normalement s’attendre.
Les critiques faisant des affirmations négatives, mais se qualifiant à tort de « sceptiques », agissent souvent comme si aucune preuve de leurs dires n’était attendu d’eux, alors qu’une telle position ne serait appropriée que pour un agnostique ou un sceptique véritable. Il en résulte que de nombreux critiques semblent considérer que la présentation d’un seul contre-exemple est suffisante pour appuyer leur affirmation négative, en misant sur la plausibilité plutôt que sur la preuve empirique. Ainsi, si l’on peut montrer qu’un sujet dans une expérience psiThouless et Wiesner ont introduit en 1942 lexpression "Phénomène psi" (et non "psy"), de la lettre grecque Psi, qui se voulait un terme neutre simplement destiné à désigner le "facteur inconnu" dans les expériences de parapsychologie, en opposition avec les communications sensori-motrices habituelles. On utilise ainsi le terme psi comme signifiant de façon générale une communication anormale avec lenvironnement (perceptions extra-sensorielles ou psychokinèse). On utilise fréquemment en parapsychologie les expressions de sujet psi, de perceptions psi et de phénomènes psi. a eu l’opportunité de tricher, de nombreux critiques sembleront supposer non pas simplement qu’il a probablement triché, mais qu’il a bel et bien triché, quelle que puisse être le manque total de preuves d’une telle tricherie et parfois même en ignorant la réputation d’honnêteté dudit sujet. De même, des procédures inadéquates d’aléatoirisation sont parfois supposées être la cause des scores psiThouless et Wiesner ont introduit en 1942 lexpression "Phénomène psi" (et non "psy"), de la lettre grecque Psi, qui se voulait un terme neutre simplement destiné à désigner le "facteur inconnu" dans les expériences de parapsychologie, en opposition avec les communications sensori-motrices habituelles. On utilise ainsi le terme psi comme signifiant de façon générale une communication anormale avec lenvironnement (perceptions extra-sensorielles ou psychokinèse). On utilise fréquemment en parapsychologie les expressions de sujet psi, de perceptions psi et de phénomènes psi. élevés d’un sujet même si n’a pu être établi que la seule possibilité qu’un tel artefact ait pu réellement interférer. Bien sûr, la validité des conclusions d’une expérimentation est grandement réduite lorsque nous découvrons une faille dans le protocole qui permettrait à un artefact de fausser les résultats. Découvrir une opportunité d’erreur devrait rendre de telles expériences moins probantes et généralement peu convaincantes. Cela invalide généralement la revendication d’infaillibilité de l’expérimentation, mais cela ne permet pas de réfuter l’existence d’une anomalie.
Montrer que des éléments ne sont pas convaincants ne mène pas à une réfutation complète. Si un critique affirme que le résultat était dû à un artefact X, ce critique a alors pour fardeau de devoir démontrer que l’artefact X peut et a probablement dû produire de tels résultats dans de telles circonstances. Evidemment, dans certains cas, la simple plausibilité de cette explication par l’artefact pourrait être si grande que pratiquement tous accepteraient l’argument ; par exemple, lorsque nous apprenons que quelqu’un connu pour avoir triché dans le passé a eu l’occasion de tricher dans ce cas, nous pourrions raisonnablement conclure qu’il a probablement triché cette fois aussi. Mais dans bien trop de cas, le critique qui fait d’un artefact un argument simplement plausible ferme la porte à des recherches futures alors qu’une science adéquate requière également le test de l’hypothèse artefactuelle. Hélas, la plupart des critiques semblent satisfaits de produire des contre-explications post hoc en restant bien calés dans leurs fauteuils. Quel que soit le côté qui finit par avoir raison, la science progresse mieux à travers des investigations en laboratoire.
D’un autre côté, les partisans de l’existence d’une anomalie qui reconnaissent l’erreur ci-dessus pourrait aller trop loin dans la direction opposée. Certains arguent, comme Lombroso lorsqu’il a défendu la médiumnité de Palladino, que la présence de perruques n’invalide pas l’existence de cheveux véritables. Nous devons tous nous souvenir que la science peut nous dire ce qui est empiriquement improbable mais pas ce qui est empiriquement impossible. La preuve en science est toujours une question de degré et est rarement, si ce n’est jamais, fait de conclusions absolues. Certains partisans de l’existence d’anomalies, tout comme certains critiques, semblent peu enclins à considérer la preuve en termes de probabilités, s’accrochant au moindre détail comme si le critique devait réfuter tout ce qui semble favorable à une revendication particulière. Les critiques comme les partisans ont besoin d’apprendre à se représenter le jugement scientifique comme quelque chose de similaire à celui donné dans les cours de justice, c’est-à-dire imparfait et avec divers degrés de preuves et d’indices. La vérité absolue, comme la justice absolue, est rarement accessible. Nous ne pouvons que faire de notre mieux pour nous en approcher.