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Les théories du psi

Les théories du psi

Par Erik Pigani

La recherche en parapsychologie ne consiste pas à cumuler les résultats dans le seul et unique but de prouver la réalité des phénomènes psi. Comme dans toutes les disciplines scientifiques, les chercheurs ont, au cours des années, élaboré des modèles théoriques susceptibles d’expliquer pourquoi – ou comment – le psi fonctionne, en rendant compte de toutes les données recueillies dans l’ensemble des expérimentations.


Cependant, les principaux modèles présentés ici n’ont pas tous la même approche : certains essayaient de résoudre les problèmes physiques des phénomènes psi ; d’autres, de donner des explications psychologiques ; d’autres encore, de trouver un concept global et unitaire.

Ne sont ici retenues que les hypothèses les plus importantes, établies par des chercheurs (qu’ils soient physiciens, psychologues, mathématiciens, neurologues, etc.) spécialisés en parapsychologie pour expliquer spécifiquement les phénomènes psi (GESP et PK). Il n’est pas interdit de penser que ces théories, même si elles ne semblent pas  » complémentaires « , ne s’annulent pas les unes les autres. Chacune présente une certaine façon de voir et de comprendre le psi, et donc probablement un aspect spécifique du psi. Un jour peut-être, de toutes ces propositions verra-t-on émerger une théorie globale et unitaire… mais à condition qu’elle soit intégrée à une théorie générale de la conscience.

Théories « ondulatoires »

Le cerveau humain ne fonctionnerait-il pas comme un poste de radio, en émettant et recevant des ondes ? La communication invisible entre deux personnes ne serait-elle pas due à un  » signal  » équivalent à un signal radio ? Dès le début du siècle, cette analogie a tenté les chercheurs. Une idée renforcée par le fait que l’on savait déjà que les organismes émettent naturellement des signaux électriques et des radiations électromagnétiques en rapport avec leur activité physiologique. De même que l’on savait comment les informations peuvent être encodées en fréquences électromagnétiques (le principe de  » modulation « ). Voilà pourquoi les premières tentatives d’explication scientifique des phénomènes psi ont été des théories dites  » ondulatoires « [[Par exemple : Oliver Lodge, My Philosophy, Ernest Benn, 1933 ; René Warcollier, La Télépathie, Alcan, 1921.]] ou  » électromagnétiques « [[Par exemple : F. Camazzamali,  » Phénomènes télépsychiques et radiations cérébrales « , Revue Métapsychique, n° 1, 1925.]]. Hormis quelques-uns de leurs aspects spécifiques, elles n’ont plus cours. En effet, toutes les expérimentations menées jusqu’à ce jour ont démontré que l’onde porteuse, si elle existe, n’est pas de nature électromagnétique (par exemple, pendant une expérience de télépathie menée par le SRI, des sujets ont été embarqués dans un sous-marin. Les résultats ont été positifs. Comme ce type d’onde ne passe pas sous l’eau, il s’agit donc d’autre chose).

Théories « à particules »

Selon la physique quantique, la lumière est à la fois onde et particule. Après la vague des théories ondulatoires (les ondes portent l’information), il n’y avait pas de raisons pour que les chercheurs ne proposent pas des modèles dans lesquels certaines particules seraient susceptibles de porter l’information psi. Ainsi sont apparues un certain nombre de « théories à particules » (c’est une dénomination personnelle) telles que les « mindons » de Firsoff (des particules  » mentales « ) ou les « atomes psi » d’Andrade ; ainsi que les propositions respectives de Martin Ruderfer et Louis Kervan selon lesquelles les neutrinos seraient le pont entre la psyché et la matière. Quant aux « tachyons » de Régis Dutheil, aux « éons » de Jean Charon, ou encore aux « psychons » de John Eccles, il ne s’agit pas à proprement parler de théories en parapsychologie, mais de modèles généraux de particules subatomiques dont les propriétés intègrent les phénomènes psi.

Champs interpersonnels

Au milieu des années 40, le psychologue Gardner Murphy a fait une proposition [[Gardner Murphy, « Field Theory and Survival », Journal of the American Society for Psychical Research, vol. 39, 1945.]] : une expérimentation (en parapsychologie) doit être vue comme un tout organique, un « champ interpersonnel » d’interactions. Pour lui, ce n’est pas dans les structures psychiques de chaque individu que se produisent les phénomènes psi, mais dans certaines relations spécifiques entre les structures psychiques de plusieurs personnes. Ce champ interpersonnel suppose que toutes les personnes présentes à une expérimentation (y compris un journaliste qui prend des notes…) influencent les résultats ; et plus le groupe est  » harmonisé « , plus les phénomènes peuvent être remarquables et de grande envergure (macro-PK, par exemple). De plus, cette théorie suppose une dimension temporelle qui s’ouvre à la fois sur le passé et sur le futur – qui deviennent alors les phases particulières d’une activité unitaire et organisée. Murphy a ensuite adapté ses réflexions aux phénomènes psychiques suggérant une survie après la mort (ce que l’on appelle une  » théorie survivaliste « ).

Les champs psi

Au cours des années 50, G. Wassermann [[G. D. Wassermann, « An Outline of a Field Theory of Organismic Form and Behaviour », in Symposium de la Fondation Ciba sur l’ESP, Wolstenholme et Millar, Boston, 1956.]]a appliqué la théorie des champs de la physique quantique aux « champs morphogénétiques » dont l’existence avait été proposée par Gurwitsch et Weiss en 1921 (théorie reprise par Rupert Sheldrake à partir du début des années 80). Ces champs seraient responsables non seulement de l’organisation des molécules, mais aussi des phénomènes psi. Les champs de Wassermann ( » champs-M « ) répondent aux lois générales de la physique (stabilité à énergie faible, conservation de l’énergie, liaisons spécifiques, etc.), et peuvent aussi se  » dupliquer « . Il a ensuite introduit d’autres types de champs : les champs-B, responsables du comportement, qui interagissent avec les champs physiques des neurones ; et les champs-P, liés aux champs physiques des objets inanimés. Toute sa théorie des phénomènes psi se fonde donc sur les interactions entre les champs et leurs différents niveaux d’énergie.

Au milieu des années 60, William Roll [[William Roll, « The Psi Field », Proceedings of the Parapsychological Association, n° 1, 1965 ;
« The Psi Structure of Theory of Survival », Research in Parapsychology, Scarecrow Press, 1982.]] a développé les travaux de Wassermann pour formuler sa propre théorie. À partir de six postulats de base, il propose quatre hypothèses d' » interaction générale  » et cinq hypothèses de  » canalisation « . Pour lui, les quatre types de phénomènes psi ont un processus de communication similaire, mais l’objet-source ou l’objet récepteur sont différents (par exemple, une personne pour la télépathie, un objet inanimé pour la clairvoyance). En 1983, il a présenté l’idée d’une  » structure psi « , un système d’interactions entre les êtres et leur environnement, qui annule la distance. Enfin, il a développé sa théorie pour l’adapter aux hypothèses de la survie après la mort.

Théorie quantique du psi

L’une des bases fondamentales de la physique quantique, c’est que chaque système peut être décrit en terme de  » fonction d’onde « , c’est-à-dire une superposition complexe d’ondes, l’amplitude de chacune d’entre elles étant reliée à la probabilité de réalisation d’un événement. La fonction d’onde complète décrit donc toutes les possibilités de réalisation d’un événement (un  » état « ) à la fois. Autrement dit, si on jette une pièce en l’air, sa fonction d’onde la décrit comme retombant à la fois du côté face et du côté pile. Or, lorsqu’elle est tombée, notre conscience ne la voit que d’un seul côté. Cela conduit naturellement à penser que l’observation consciente influence le système, et provoque une  » réduction du paquet d’ondes  » vers un état spécifique. Si cette théorie est juste, cela signifie que notre conscience peut choisir, dans une certaine mesure, l’état ou le résultat d’un événement.

Avec ce principe, Evan Harris Walker [[E. H. Walker, « Foundations of Paraphysical and Parapsychological Phenomena in Quantum Physics and Parapsychology, Parapsychology Foundation, 1975.
« A Review of Criticisms of the Quantum Mechanical Theory of Psi Phenomena », The Journal of Parapsychology, vol. 48, 1984.]] a fait remarquer que le cerveau lui-même est aussi un système physique, susceptible d’être en permanence dans plusieurs états potentiels superposés. À la différence que la réduction du paquet d’ondes ne se produit pas à la suite d’un acte physique d’observation, mais d’un acte de  » l’esprit « , la conscience jouant alors le rôle de  » variable cachée  » de la fonction d’onde qui décrit le système physique (ce qu’avait aussi souligné Helmut Schmidt dans l’un des développement de sa théorie, en établissant que la PK était liée à la réduction du paquet d’ondes). L’un des aspects les plus importants de l’approche de Walker est l’unité du psi. En effet, ESP et PK deviennent alors différents aspects d’un processus d’observation. On en arrive ici à une idée évoquant la rétro-PK : l’observation d’un système influence son état, quel que soit le moment. Le psi est donc vu comme indépendant du temps et de l’espace et il est capable d’influencer un système aléaoire. Aussi le feed-back dans le moment présent joue-t-il un rôle déterminant dans le processus et le résultat de l’expérimentation.

Modèle téléologique

Selon le modèle « téléologique » (« recherche du but ») du physicien Helmut Schmidt [[Helmut Schmidt,  » Towards a Mathematical Theory of Psi « , Journal of the American Society for Psychical Research, vol. 69, 1975.]], le psi est une  » modification des probabilités de différentes histoires du monde « . Avec une première version de sa théorie, publiée en 1975, il a été l’un des premiers à unifier le psi : ESP et PK sont les aspects d’un principe psi commun selon lequel la réalité a été modifiée par l’attente du but. En effet, l’agent psi n’a besoin que de se concentrer sur le résultat désiré, et non sur le processus : le psi va de lui-même biaiser la probabilité que cet événement arrive, ou est arrivé dans le cas de la rétro-PK. En tant que telle, il ne s’agit pas d’une théorie sur le mécanisme du psi, mais plutôt sur la façon dont le psi est expérimenté et vécu par l’agent. C’est pourquoi le feed-back est essentiel : l’agent ne peut obtenir un effet que s’il est associé à son environnement de telle façon qu’il puisse recevoir un stimulus. Ici aussi, le psi est indépendant du temps et de l’espace, et indépendant de la complexité de la tâche. Comme la plupart des action humaines sont téléologiques – par exemple, on n’a pas besoin de prêter attention aux muscles que l’on actionne pour saisir un objet -, ce modèle ramène et intègre naturellement le psi à l’expérience humaine. Schmidt a aussi soulevé ce que l’on appelle le  » problème divergent  » : les agents futurs (dans le futur) peuvent aussi avoir un effet sur l’histoire du temps présent. En clair, une personne qui participe à une expérimentation psi n’est pas seule responsable de ses résultats : il y a aussi tous les futurs lecteurs du compte rendu…

Réponse instrumentale par la médiation du psi

En 1975, Rex G. Stanford a proposé un modèle [[Rex G. Stanford et al.,  » Psychokinesis as Psi Mediated Instrumental Response « , Journal of the American Society for Psychical Research, vol. 69, 1975.
Rex G. Stanford,  » An Experimentally Testable Model for Spontaneous Psi Events « , in Advances in Parapsychological Research 6, dirigé par Stanley Krippner, McFarland and Co., 1990]] (Psi Mediated Instrumental Response) mettant en évidence l’état psychologique qui favorise la communication entre le cerveau et son environnement : de la même façon que notre système sensoriel (nos cinq sens)  » balaie  » son environnement, notre organisme utilise le psi pour le scanner et obtenir les informations dont il a besoin. Ce processus est inconscient, mais actif. Aussi est-il soumis à un certain nombre de facteurs psychologiques, événementiels et environnementaux. Dans cette aproche, l’ESP et la PK sont considérés comme des processus séparés, mais la télépathie peut être un élément de la PK, notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir des informations sur un organisme avant d’agir sur eux (bio-PK). L’un des aspects les plus intéressants de ce modèle est que le psi peut se produire sans perception consciente, et sans que le feed-back soit nécessaire, puisque ce rôle est rempli par l’ESP. En 1990, Stanford a modifié sa théorie, devenue désormais Conformance Behavior Model.

Modèle de fluctuation thermique

Une variation de la théorie quantique du psi a été proposée au début des années 80 par Richard Mattuck [[Richard Mattuck, « Some Possible Thermal Quantum Fluctuation Models for Psychokinetic Influence on Light », Psychoenergetics, vol. 4, 1982.]] : elle est fondée sur l’idée que notre esprit utilise l’énergie thermique des molécules pour modifier un événement ou le résultat d’un événement. Il est déjà bien connu qu’un degré d’incertitude est associé à chaque mesure, et que ces mesures présentent toujours de petites fluctuations autour d’une valeur générale. Ces fluctuations seraient partiellement provoquées par l’agitation du système mesuré par les énergies thermiques aléatoires des particules dans le système (rappelons que, plus un atome est  » chaud « , plus il s’agite…). Ces fluctuations doivent être reliées au principe d’incertitude de la mécanique quantique. Richard Mattuck relie l’effet PK au processus d’information selon un certain pourcentage, et donne une analyse détaillée du « pourcentage d’échange d’information » en proposant une théorie sur l’effet PK sur les divers éléments d’un système-cible.

Modèle d’information pragmatique

A la fin des années 80, Walter von Lucadou [[Walter von Lucadou, « The Model of Pragmatic Information », Proceedings of the 30th Parapsychological Association Convention, 1987.
« The Endo-Exo-Perspective Heaven and Hell of Parapsychology », Proceedings of the 37th Parapsychological Association Convention, 1994.]] a proposé une approche par la théorie des sytèmes plutôt que par la théorie quantique, tout en reconnaissant que la description de tout système a une forme similaire aux axiomes de la physique des particules. Il a formulé une équation descriptive de base pour ce qu’il a appelée l' » information pragmatique « . Sommairement, cette information est déterminée d’abord par tout changement dans la structure et la fonction du système, ensuite par sa nouveauté couplée avec sa valeur de confirmation. Von Lucadou a aussi repris le concept de  » fermeture organisationnelle  » (ses liens dynamiques sont définis par les interactions de ses éléments constituants) dont la conséquence est que, vu de l’extérieur, un tel système apparaît comme un corps unifié. Un atome, par exemple : il n’existe que par l’interaction du noyau et des électrons, et bien que ses éléments soient des unités séparées, il est vu comme un corps unifié. Dans une expérimentation psi, la  » fermeture organisationnelle  » est relative à l’interaction entre l’agent et le système-cible, et est décrite par l’information pragmatique interne du système. Un effet psi est alors défini comme une corrélation signifiante (mais non locale) entre l’agent et le système-cible.

Decision Augmentation Theory

La théorie la plus récente a été proposée à partir de 1995 par un groupe de chercheurs (E. May, J. Utts, S. Spottiswoode, Y. Dobbins, D. Radin)[[E. May, J. Utts, S. Spottiswoode, « Decision Augmentation Theory : Towards a Model of Anomalous Phenomena », The Journal of Parapsychology, vol. 59, n° 3, 1995.]], dont la première version était la « sélection intuitive des données » (Intuitive Data Sorting). Ici, l’être humain aurait la capacité de prendre des décisions à partir d’informations obtenues par précognition. Les phénomènes psi ne sont pas provoqués par un désir (volontairement ou inconsciemment), mais ils sont le résultat d’un processus qui voudrait que la conscience tire parti des fluctuations aléatoires naturelles d’un système-cible pour sélectionner des moments ou des situations qui vont produire le résultat le plus proche de celui qui a été désiré. Les systèmes aléatoires, qui fluctuent constamment, ne sont donc pas perturbés en eux-mêmes. Ce modèle semble expliquer toutes les formes de psi avec les générateurs numériques aléatoires et il implique également une notion de « réalité objective partagée » (intuition collective) et un temps du psi indépendant. On peut alors se demander si c’est le futur actuel qui est vu de façon précognitive, ou s’il s’agit simplement d’un futur probable, associé avec un résultat spécifique désiré. L’avantage de cette approche, c’est qu’elle n’a pas besoin d’expliquer séparément les processus actifs (influence) et passifs (réception) du psi.

Les champs sémantiques

La théorie du psi récemment proposée par Christine Hardy [[Christine Hardy, « Semantic Fields and Meaning : A Bridge Between Mind and Matter », World Futures, Gordon & Breach, Newark, vol. 48, 1997 ;
« Semantic Fields and Mental Processes », présentation, European Meeting of the Society for Scientific Exploration, Valencia, Espagne, 1998 ;
Networks of Meaning, Praeger/Greenwood, Westport, CT, 1998.]] a le mérite de s’inscrire dans une théorie générale de la conscience. Elle pose une dimension sémantique non seulement chez les êtres conscients (noo-champs), mais aussi dans les objets et l’environnement (eco-champs), où elle est créée par la génération de sens. La dimension sémantique a ses propres paramètres distincts de ceux de l’espace-temps, par exemple la  » proximité sémantique  » qui permet le branchement non local, et en réseau,de deux champs sémantiques, quelle que soit la distance entre eux, et fonde ainsi l’existence de l’ESP. De plus, la théorie pose que la conscience (en créant du sens) a une influence organisatrice sur l’environnement physique – subtile mais constante, comme dans la physique quantique. Au contraire de la physique quantique, elle considère que cette influence est fondée sur l’organisation sémantique de l’individu, c’est-à-dire sur les réseaux de significations, l’intention et le désir de la conscience – ce qui permet de rendre compte de la PK soit intentionnelle, soit inconsciente. Dans cette théorie, les phénomènes psi (tant l’ESP que la PK) sont des cas extrêmes, particulièrement forts, de processus plus fins, mais constants, qui reflètent le fonctionnement naturel de la conscience.