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Livre : Les intelligences particulières. Enquête sur les maisons hantées.

Livre : Les intelligences particulières. Enquête sur les maisons hantées.

Revue du livre « Les intelligences particulières. Enquête sur les maisons hantées » .

« Les intelligences particulières. Enquête sur les maisons hantées »

Grégory Delaplace.

Bruxelles : Vues de l’esprit, 2021.

Préface de Vinciane Despret.

 

D’après Vinciane Despret, le but de cet ouvrage est « de rouvrir les enquêtes là où elles ont été trop vite conclues […] ». Il aurait mieux valu d’ailleurs mettre « Enquêtes » au pluriel dans le titre, car ce livre n’est aucunement une enquête originale sur les hantises, mais bien une discussion sur des enquêtes datant de 1946 à 1949.

L’immense mérite de cet ouvrage réside dans sa volonté de mettre à disposition du public francophone des enquêtes réalisées par la Société anglaise de Recherche Psychique, la SPR, et ce sous une forme qui soit acceptable par la communauté scientifique française. En cela on pourra saluer l’initiative originale de l’auteur, qui, malgré une position somme toute académique classique, prend néanmoins le risque d’aborder ce sujet.

On a assisté depuis les années 2000 à une certaine détente sur le sujet scabreux des fantômes et hantises au sein du milieu des sciences humaines françaises, avec, entre autres, les historiens Stéphanie Sauget et Claude Lecouteux, la philosophe des sciences Vinciane Despret, le littéraire Daniel Sangsue, l’ethnologue Jocelyne Bonnet-Carbonell… Avec des auteurs comme Georges Bertin, Christophe Pons, Hoenik Kwon, Elizabeth Claverie… est même apparu le champ de l’anthropologie des apparitions.

Il est devenu possible de parler de ce thème, à condition bien sûr d’ignorer presque totalement les travaux des parapsychologues qui étudient scientifiquement, du moins avec des objectifs scientifiques affichés, ce sujet depuis plus de 150 ans. Et voilà que Grégory Delaplace rappelle avec cet ouvrage que dans l’Angleterre du 19ème et 20ème siècle, les meilleurs scientifiques osaient se confronter à ces problèmes, très populaires et communément répandus dans toutes les couches de la société !

Il s’agit assurément d’une grande avancée du point de vue sociologique, d’autant plus que l’auteur cite R. Evrard et B. Méheust, qui sont des vrais spécialistes des sciences psychiques !

Delaplace extrait donc des cas de la riche collection de la SPR, dont on apprend qu’elle comprend 550 cas classés « H » (hantises)  et 900 cas classés « P » (poltergeists), de 1882 à 1990. La première classification comprenait les catégories G, L, M : fantômes de morts, fantômes de vivants, mesmerisme et clairvoyance, avant son changement vers 1940. Ces rapports sont en accès libre à la bibliothèque universitaire de Cambridge.

Delaplace en extrait une demi-douzaine de cas, principalement étudiés par Donald J. West, par C.V.C Herbert et William H. Salter, gendre de la célèbre médium Mrs Verrall, et, lui, vraiment représentatif des pionniers de la SPR. Si les célèbres ouvrages « Phantasms of the living » et « Le Recensement sur les hallucinations », qui sont le fleuron de la SPR, sont cités, Delaplace n’indique pas qu’ils contiennent, eux, pléthore de cas qui ont été authentifiés par des signatures de témoins dignes de foi et qui présentent un aspect parapsychologique. On peut donc se demander quelle était l’intention de l’auteur en choisissant ces quelques cas, très tardifs dans les études de la SPR, qui ont pratiquement tous été interprétés par les enquêteurs comme des « hallucinations » dues à la suggestion ou autre.

Delaplace insiste sur la position « sceptique » de Donald J. West, jeune enquêteur à l’époque. West se plaignait de la « pénurie des matériaux de qualité », sans doute parce qu’il avait un niveau d’exigence de preuves élevé, qu’il pensait qu’il en existait mais qu’il était difficile de les trouver. Delaplace résume et relate les cas de façon précise, vivante, très agréable à lire, et ce travail d’accessibilité lui-même est à saluer.

Une réflexion approfondie sur le processus d’enquête en général aboutit à montrer la particularité des enquêtes de hantises : elle ne permettent jamais d’aboutir à une certitude, on reste dans l’indéterminé.

A un moment, l’auteur semble avouer qu’il a été tenté de passer d’une réflexion purement anthropologique (description ethnographique) à une position plus ressemblante à celle des sciences psychiques. C’est à dire, d’essayer de comprendre l’origine des hantises au lieu de simplement décrire. Cette petite remarque téméraire me permettrait de remarquer qu’un des premiers principes épistémologiques de base est que la science essaie d’extraire des concepts, des généralités, de la multitude des faits, pour essayer de comprendre le monde. Or en ce qui concerne le sujet des fantômes, c’est précisément ce qui est exclu par l’académisme : dépasser le stade de la description est une transgression sociale. Anthropologues et historiens s’étaient bien gardés jusqu’ici de le faire, se contentant de jeter l’opprobre sur la parapsychologie vue comme pseudo-science précisément parce qu’elle essaie de comprendre en émettant des hypothèses plus ou moins étayées.

 

Delaplace qualifie l’apparition comme l’expérience inquiétante de ce qui fait défaut, sur les trois plans de la perception (les sens semblent anormalement perturbés), de l’agentivité (on ne sait plus qui est à l’origine des troubles), et de la comparabilité (l’expérience dépasse les cadres habituels de la vision du monde). Les « intelligences particulières » seraient à la fois les causes inconnues des événements et les facultés spéciales des témoins. Elles qualifieraient les interactions du groupe habitant/visitant le lieu hanté, en fonction de leurs caractéristiques psychologiques, sociales, « médiumniques », et qui permettraient au phénomène d’apparaitre, de s’amplifier, de persister, puis de disparaitre. Les hantises seraient des expériences particularisantes.

 

Un cas cité m’a intéressée tout particulièrement : la cas du « dancing hanté » (p 163). En effet, les conditions contextuelles et psychologiques sont décrites en détail, et l’analyse de West démonte un à un tous les mécanismes de suggestion, de rapports de sujétion, des supports de projections, d’interactions mentales , de ce qu’on appellerait aujourd’hui « pareidolies », etc., l’insufflation d’un sens unifiant tous les éléments. West conclut à l’hallucination collective, (qui n’existe pourtant pas en psychiatrie), en s’appuyant sur une expérience ingénieuse où il a demandé aux témoins de décrire un événement, d’abord ensemble, et ensuite séparés. Il a trouvé que les témoins ne voyaient la même chose que lorsqu’ils étaient ensemble.

 

A noter que lorsque l’auteur cite d’autres domaines du « paranormal », c’est presque toujours pour les discréditer : les soeurs Fox ont inspiré le spiritisme mais ont été à la fin convaincues de fraude, Janet étudiant Léonie Leboulanger n’a jamais rien mis en évidence d’extraordinaire, le cas du « cheval Hans » était une illusion qui a été entièrement expliquée, les tests de télépathie radiophonique de West ont été un échec, etc. En rassemblant tous ces éléments, et en les ajoutant aux cas de fantômes peu convaincants choisis par l’auteur, on en arrive à un tableau général plutôt très défavorable à l’existence du psi. Etait-ce le prix à payer pour pouvoir aborder légitimement le sujet sulfureux des apparitions ?

P 127, l’auteur affirme : « Les apparitions, autrement dit, sont l’émergence d’une inhabitude dont aucune enquête ne permet d’établir une connaissance générale ». Or, c’est bien le propre du psi en général, de ne pouvoir se laisser réduire et rentrer dans le cadre des connaissances établies, et c’est bien tout l’enjeu de la parapsychologie, renié par les autres universitaires, du moins en France, de trouver des explications.

 

Le ton général du livre conduit à penser que ces quelques cas, peu convaincants puisqu’aucun élément proprement paranormal ne semble y avoir été mis en évidence, peuvent se généraliser et aboutir à la conclusion qu’il n’y a aucune preuve d’apparitions authentiquement paranormales (c’est à dire en lien avec des éléments objectifs par ailleurs ou qui ne soient pas simplement signe de psychopathologie). Il y a même dès l’introduction, des assertions carrément défaitistes : « Force est de constater, pourtant, un siècle tout juste après le livre-manifeste de Flammarion, que les maisons hantées n’ont pas su tenir leurs promesses. Elles n’ont manifestement pas permis à la science psychique d’être admise dans le giron des sciences naturelles. » Or, si la SPR a certes commencé par l’étude des phénomènes de hantise et du spiritisme, la parapsychologie a évolué et l’association des parapsychologues internationaux, PA, très liée à la SPR, a été accueillie au sein de l’American Association for the Advancement of Science (l’AAAS) dès 1969. Au niveau international, la recherche sur les apparitions est actuellement florissante,  les « nécrophanies » par exemple (apparitions et contacts apparents avec des décédés) faisant l’objet de nombreuses études dans le cadre de la psychologie des expériences exceptionnelles. La disqualification du type de recherche pionnière de la SPR en tant qu’activité scientifique n’est donc pas légitime.

 

En conclusion, ce livre constitue peut-être un jalon dans la progression de l’acceptation des thèmes parapsychologiques par l’establishment scientifique.

Pascale Catala.

 

Les intelligences particulières