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Les expériences d’Eugène Osty menées sur le sujet Rudi Schneider

Les expériences d’Eugène Osty menées sur le sujet Rudi Schneider

Cet article est une version longue de l’article La signature physique de l’invisible, par Thomas Landrez, publié dans le Bulletin Métapsychique n°4, dans un numéro spécial consacré aux expériences sur les ectoplasmes et les matérialisations.

1/ Eugène Osty et Rudi Schneider.

La métapsychique dite « objective », qui, à côté de la métapsychique dite « subjective » (se focalisant sur les phénomènes mentaux de la médiumnité), étudiait déjà au début du XXe siècle les effets physiques démontrables et objectivables de l’activité médiumnique, a connu bien des vicissitudes, entachée qu’elle a été par de déplorables fraudes et des conditions d’objectivation parfois bien ambiguës.

Eugène Osty (1874-1938), nouvellement élu Directeur de l’Institut Métapsychique International (IMI) suite à la mort de son prédécesseur Gustave Geley (1865-1924), ne partage ni les convictions ni l’enthousiasme de ce dernier pour les « productions » physiques de la médiumnité (en particulier les hypothétiques matérialisations ectoplasmiques). Malgré sa méfiance affichée à ce sujet (tempérée toutefois par les expériences de 1926 avec le médium polonais Jean Guzik dont il reconnaît cependant ne pouvoir tirer « aucune preuve à proprement parler scientifique »[[Revue metapsychique, Novembre-Décembre 1926, p.452.]]) et malgré sa préférence pour la théorisation des modes de « connaissance supranormale »[[Comme en témoigne son ouvrage célèbre publié en 1922. Osty, E. La connaissance supranormale, Paris, Alcan, 1922, réed. Exergue, 2000.]] impliquée dans les phénomènes mentaux (télépathie, cryptomnésie, clairvoyance, etc.) de la médiumnité, il s’intéresse cependant, en bon médecin, aux processus physiologiques et physiques qui peuvent entrer en jeu dans les modes « d’action à distance » d’un sujet sur son environnement. Rudi Schneider C’est à partir d’octobre 1930 qu’E. Osty va avoir pleinement l’occasion de mettre en place un dispositif expérimental véritablement rigoureux et méticuleux visant à comprendre et mettre en évidence avec précision le type d’« extériorisation invisible »[[Revue metapsychique, Septembre-Octobre 1931, Article « Nos recherches sur l’énergie dite médiumnique à sa phase d’extériorisation invisible ».]] qui rendrait selon lui possible la télékinésie[[Forme de_psychokinèse impliquant apparemment une action inhabituelle de l’« esprit » (intentionnalité intériorisée sous forme de désir, souhait, etc.) sur la « matière » d’objets spatialement éloignés via la production d’un déplacement de ces objets qui est opéré autrement que par une action kinétique musculaire et un contact haptique directs.]]. Suite à une conférence organisée à l’IMI au cours de laquelle Harry Price[[Harry Price (1881-1948), illusionniste professionnel, fut membre de la Society for Psychical Research (SPR) avant de créer en 1923, en son nom propre, une société savante indépendante, le National Laboratory for Psychical Research (NLPR). ]] présente les résultats de ses travaux avec le jeune Rudi Schneider[[Rudi Schneider (1908-1957) était le jeune frère de Willy Schneider (1903-1971) dont les capacités idéoplastiques et télékinétiques avaient déjà été testées par le célèbre Baron von Schrenck-Notzing dès 1919.]], E. Osty fait la connaissance de ce jeune médium autrichien.

2/ Un ingénieux système de détection et de contrôle par rayons infrarouges pour débusquer ce qui se cache dans l’action télékinétique.

D’octobre 1930 à décembre 1931, Osty organise à l’IMI de nombreuses séances avec Rudi Schneider (90 en tout). Ce n’est cependant qu’à partir de novembre 1930 qu’Osty met en place une méthode de contrôle radicalement nouvelle et très méticuleuse[[Méthode qui est à la fois plus souple, moins fastidieuse et plus fiable que le système de contrôle que Harry Price avait élaboré d’après l’idée de Karl Krall pour tester Rudi Schneider en 1929. Il s’agissait d’un circuit de conduction électrique en boucle, les participants portant des chaussons métalliques qu’ils devaient laisser posés sur une barre et des gants métalliques en contact les uns avec les autres. Un faible courant électrique passait à travers la « chaîne » ainsi formée, ce qui devait prévenir tout risque de fraude manuelle, étant donné qu’un panneau électrique indiquait à tout moment si la « chaîne » était brisée et donc si un pied ou une main vagabonds s’étaient libérés…]], élaborée à partir d’une idée de son fils Marcel, ingénieur de profession. Il s’agit d’un système de détection automatisé composé de rayons infrarouges diversement orientés produits par des émetteurs et réfléchis par de petits miroirs jusqu’à des récepteurs contenant une cellule photo-électrique et un amplificateur relayant un signal jusqu’à une sonnerie et un appareil photographique à déclenchement instantané dès qu’un ou plusieurs rayons sont graduellement ou subitement « coupés », c’est-à-dire dès qu’une « substance » physiquement assez dense occulte les rayons. Ce qui a pour but non seulement de démasquer instantanément une éventuelle main vagabonde ou un éventuel adjuvant matériel destiné à une fraude, mais aussi de prendre sur le fait l’action d’une hypothétique « substance invisible », encore non-répertoriée, à un état de condensation liquide, solide ou gazeuse plus ou moins avancé.

En effet, la tâche qui est assignée par Osty et son équipe à Rudi Schneider pendant qu’un contrôleur le surveille et qu’un autre lui tient fermement les mains et les pieds, consiste à influencer télékinétiquement à environ un mètre cinquante de distance les objets placés préalablement sur une table, cette table étant quadrillée de rayons infrarouges dont les trajectoires ne laissent aucun interstice permettant de glisser une main ou même un doigt en étendant le bras à partir de l’emplacement où se trouve assis Rudi Schneider. Cela sécurise aussi la zone cruciale pendant la durée de l’expérience réalisée dans une lumière rouge-orangé réglable en intensité[[Cet aspect des expériences peut, à juste titre, paraître problématique, mais il semblerait qu’il s’agisse parfois d’un requisit lié à la photosensibilité accrue des sujets testés pendant et après leur phase de « transe », ainsi qu’à la nature même de la médiation énergétique employée lors des productions médiumniques physiques.]]. Ce système ingénieux et d’une grande précision avait d’ailleurs déjà rendu de fiers services à Osty puisqu’il lui avait permis, grâce au déclenchement d’un instantané photographique[[La photographie fut publiée dans le numéro de Novembre-Décembre 1930 de la Revue metapsychique.]], de prendre en flagrant délit Stanislawa Popielska tandis que cette dernière tentait, après avoir pratiqué une habile « substitution des mains »[[Tour de passe-passe bien connu exploitant, chez les contrôleurs, l’engourdissement et la confusion des sensations tactiles prolongées en l’absence de repères visuels.]] et libéré l’un de ses bras, d’atteindre un objet placé à distance.

Rudi Schneider se soumet volontiers aux exigences du protocole, sans même connaître ni le fonctionnement ni l’emplacement exacts du réseau de rayons infrarouges. Rudi, dans son optique spirite, personnifie la « force » qu’il dit émaner de lui pendant ses moments de transe induits par une hyperpnée intense[[En effet, il a été observé que l’amplitude et la fréquence des mouvements respiratoires de Rudi Schneider s’accéléraient à l’apogée de ses efforts, subjectivement ressentis comme tels, pour « amener » la « force » sur la table ciblée par les expérimentateurs.]], mais Osty interprète cela comme l’expression d’une seconde « personnalité » issue de l’état de conscience modifié de Rudi et lui permettant de donner sens[[L’orientation dirigée des « poussées » de « force » étant, dans l’optique de Rudi Schneider, l’expression d’un centre d’ intentionnalité autonome baptisé « Olga ».]] à l’extériorisation de son « travail énergétique » initié dans son organisme et dirigé par son psychisme.
Rudi reste visible dans la lueur de la pièce, vêtu d’un pyjama doté de bandes fluorescentes et la scène est instantanément photographiée par un flash au magnésium dès qu’une sonnerie retentit en raison de l’absorption des faisceaux infrarouges. Outre des sensations subjectives ambiguës dont les causes n’ont pas réussi à être objectivées (ressenti de courants d’air froid par les expérimentateurs lors de certaines « poussées » de la « force » et perception collective d’une « masse à aspect de brouillard »[[Lettre de E. Osty à G. Walther, du 28 Novembre 1930, conservée dans les archives de l’IMI.]] s’élevant de sous les rideaux situés derrière Rudi Schneider et repoussant la table…), et outre l’impossibilité de déterminer avec précision le volume, la provenance et le trajet exacts de la « substance invisible » qui absorbait les rayons[[Revue metapsychique, Article « Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière », Janvier-Février 1932, pp.6-9.]], Osty a tout de même réussi à montrer, notamment avec sa première installation[[Ibid, p.4-5. ]], que le retentissement de la première sonnerie reliée au réseau infrarouge couvrant le bord de la table le plus proche du sujet (et non celle reliée au réseau couvrant le bord rapproché des rideaux) correspondait fidèlement aux annonces de Rudi Schneider lorsque, en plein effort de concentration et de respiration, il déclarait qu’il sentait que « la force » arrivait sur la table[[Ibid, p. 5.]].

L’une des premières photographies prises automatiquement par le dispositif de sécurité mis en place par Eugène Osty

Rien n’est visible sur les photographies, à part le sujet, courbé vers le contrôleur qui lui tient les mains et les jambes, et les assistants fixant avec attention la table. Cependant, les appareils enregistreront, au moment du retentissement des sonneries, et avec divers types d’installations, une absorption effective des faisceaux infrarouges allant de 30 à 75%, ce qui indique clairement que « quelque chose » d’invisible, mais doté d’une densité suffisante, a pénétré dans le réseau de détection ou du moins a modifié de l’intérieur les faisceaux infrarouges[[Ibid, pp.10-21. ]] : cette « substance » devrait donc être plus organisée et concentrée qu’un gaz, et son domaine de longueur d’onde devrait être, à l’état invisible, au minimum compris entre 700nm et 1000µm.

Cependant, il faut remarquer que le « passage » dans les rayons infrarouges n’a pas été sans conséquence pour la « substance invisible » : en effet, « la substance invisible avait d’autant plus de difficultés à manifester sa présence dans le milieu d’infrarouges qui lui était offert, que ce milieu était de plus grande intensité rayonnante par unité de surface »[[Ibid, p.30.]]. Il a par ailleurs été constaté que le rayonnement ultra-violet n’avait, lui, pas d’influence destructrice importante sur la « substance » en question lorsque celle-ci était déjà suffisamment densifiée, et que cette « substance » invisible n’était pas rendue fluorescente par la projection d’un faisceau ultraviolet, mais que cela gênait son développement et engendrait corrélativement des spasmes violents chez le sujet en transe[[Ibid, pp. 27-29.]]. D’autre part, l’éclair bref de la photographie a eu souvent pour effet une baisse d’absorption dans l’infrarouge, même si l’enregistrement de cette absorption a parfois pu persister pendant quelques secondes, à un taux inférieur, durant et après cette vive luminosité[[Ibid, pp. 34-35.]]. Avant 1931, il n’y a eu qu’une ou deux productions notables de télékinésie[[Notamment lors de la séance du 15 octobre 1930 où la table elle-même bascula…]], mais dans les 77 séances s’étant déroulées entre janvier et décembre 1931, il y a eu 7 occurrences de déplacement télékinétique d’objets éloignés, séparés de Rudi Schneider par un velum à mailles fines et un paravent robuste fixé au sol derrière la chaise du médium (mouchoir soulevé, étoffe de 547 grammes projetée sur le velum, harmonica jeté à 1m20 de la table, etc.)[[Ibid, pp. 48-59.]].

3/ Toutes les sécurités ont-elles été prises, et comment interpréter les résultats des expériences ?

Il était prévu que toute déviation mécanique d’un émetteur entraîne une déstructuration de tout le réseau de rayons infrarouges, ce qui entraînerait un déréglage définitif et instantané des appareils[[Ibid, p. 112.]]. Par ailleurs, les miroirs réfléchissants étaient fixés sur la table ou sur des étagères avec des griffes de serrage, le sujet était visible grâce à son pyjama fluorescent, et parfois séparé des objets à déplacer et des rayons à occulter par plusieurs écrans matériels (large paravent fixé au sol, velum de grande taille très serré, etc.). Se pourrait-il cependant que l’on puisse expliquer les absorptions dans l’infrarouge et les déplacements d’objets autrement qu’en reconnaissant l’existence d’une « substance invisible » encore non-répertoriée ?

Premièrement, certaines séances ont fait intervenir une installation comportant des baromètres et des hygromètres, or aucune modification hygrométrique inhabituelle n’a été observée, en dépit de la transpiration et de la respiration amplifiées du sujet et de la présence de nombreuses personnes dans la pièce. Cela semble donc exclure l’hypothèse d’une extrême condensation de vapeur d’eau remplissant peu à peu la pièce et contribuant à l’absorption des rayons infrarouges. De plus, les tentatives personnelles des expérimentateurs pour respirer fortement directement sur les rayons n’ont déterminé aucun enregistrement d’absorption, tandis que des absorptions fréquentes et de longue durée se sont produites à bonne distance de Rudi Schneider qui tournait le dos aux émetteurs et récepteurs infrarouges[[Revue metapsychique, Article « Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière », Mars-Avril 1932, pp.115-116.]]. Et d’ailleurs, même dans l’hypothèse – intenable – d’une absorption causée fortuitement par de la vapeur, l’exacte correspondance entre les signaux d’absorption et les annonces de Rudi Schneider devient incompréhensible. L’hypothèse d’une exhalaison de vapeur d’eau par le sujet lors de ses fréquentes expirations n’est pas non plus recevable, étant donné que chaque temps moteur respiratoire, que ce soit l’inspiration ou l’expiration, correspond dans les expériences d’Osty à une poussée d’absorption. Or, il est bien évident que l’inspiration ne peut exhaler de vapeur d’eau[[Ibid, p. 116.]].

Enfin, la « substance » en question semble posséder des propriétés et une logique de formation qui ne sont pas celles d’un gaz : en effet, par exemple, son mode d’expansion consiste en une condensation toujours plus ciblée et cohérente entre les faisceaux d’infrarouges, alors qu’un gaz aurait, lui, tendance, en vertu de ses liaisons moléculaires extrêmement lâches et de son mouvement erratique, à se disperser et à se dissiper dans l’espace de manière toujours plus désorganisée[[E. Osty, Revue Metapsychique, Mars-Avril 1932, p.117.]]. Il y aurait donc là une « modalité unique de l’énergie » d’un « genre biologique exceptionnel » qui semble servir d’expression à une intentionnalité constructrice remontant la pente entropique que suit l’énergie tirée de la transformation de la matière inerte.

Deuxièmement, si l’on envisage la possibilité de l’exploitation inhabituelle d’une modalité énergétique déjà connue de la physiologie (champ électromagnétique, émission thermique, etc.), comment comprendre cependant la synchronisation entre les « annonces » de Rudi Schneider relevant d’une forme d’anticipation subjective active et les absorptions objectives soudaines des rayons, ainsi que la variation rythmique isomorphe qui semble exister entre sa fréquence respiratoire et les « oscillations » des taux d’absorption dans l’infrarouge ?[[Revue metapsychique, Article « Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière », Mars-Avril 1932, pp.87-100.]] Tout se passe comme s’il y avait production d’un travail énergétique donnant lieu à une « substance » invisible constituant une extension organique du corps du médium et faisant l’objet d’une « commande mentale » en ce qui concerne sa formation extériorisée, sa condensation graduelle et sa propulsion[[Revue metapsychique, Janvier-Février 1932, pp. 35-48.]]. D’ailleurs, d’après les « oscillations »[[Les graphiques résultant de l’enregistrement des absorptions effectuées avec des galvanomètres possédant une précision plus importante montrent des séquences de pics et de creux infinitésimaux qui étaient au départ passés inaperçus avec des instruments moins sensibles.]] rythmiques de l’absorption dans l’infrarouge constatées par Osty durant les phases d’hyperpnée de Rudi, il semblerait que cette « substance » invisible soit douée d’une certaine élasticité étant donné qu’elle donne l’impression de se rétracter avec chaque temps de latence et de se propulser avec chaque temps moteur de la respiration[[Revue metapsychique, Mars-Avril 1932, pp. 93-100.]].

Néanmoins, Osty se garde de tout réductionnisme physiologique, puisqu’il insiste aussi sur l’existence d’une certaine dualité existant entre, d’une part, le travail physiologique de production de cette modalité inconnue de l’énergie et, d’autre part, la « commande mentale » présidant à l’orientation et à la condensation ciblées de la « substance » invisible qui en résulte[[Ibid, pp.99-100.]]. Cela implique donc aussi que les fluctuations d’intensité des effets observés obéissent à la fois sans doute à un facteur d’ordre physiologique strict comme à un facteur psycho-affectif. D’ailleurs, il faudrait élucider la nature de ce qu’Osty nomme dans son compte-rendu expérimental les variations survenant « suivant des conditions d’ambiance » : Osty fait-il référence à la composition de l’atmosphère physique de la pièce ou à l’état d’esprit des contrôleurs et de ses collègues exerçant une hypothétique suggestion sur l’état d’esprit du sujet et influant ainsi sur ses performances télékinétiques ?[[Ibid, p.117.]]

Enfin, en ce qui concerne les modalités d’interaction physique entre les rayons infra-rouges et la médiation énergétique « invisible » exploitée, canalisée ou produite par Rudi Schneider pour exercer son influence télékinétique sur le dispositif, Osty reconnaît volontiers que, même si l’absorption graduelle des faisceaux lui semble être l’hypothèse la plus probable, il demeure que le résultat obtenu serait le même si la sonnerie et la photographie instantanée étaient imputables à l’apparition soudaine de la « substance » invisible dans les faisceaux ou à une forme de réfraction à partir d’un angle d’incidence donné, mais qu’en dernière analyse, cela ne change rien aux constatations effectuées sur la corrélation existant entre les annonces verbales de Rudi Schneider, son état mental et physiologique, et les incidences sur le dispositif[[Ibid, p.117.]]. Ainsi, si une analyse spectrographique plus poussée (que l’on ne peut qu’encourager avec les moyens technologiques mis aujourd’hui à notre disposition !) permettra peut-être un jour de mieux comprendre la constitution de la « substance » mise en évidence par Osty, il reste que la compréhension de l’ « interaction » et l’évaluation du degré de « liaison » entre le sujet et cette « substance » qu’il semble contrôler passera sans doute nécessairement par une explicitation du mode de production ou d’activation physiologique (musculaire, pulmonaire, nerveuse, neuronale ?) de ce type de médiation extra-corporelle inhabituelle, ainsi que par une élucidation de la dynamique psychologique nécessaire au contrôle de cette extension.

Et surtout, cela ne pourra, in fine, se faire sans une mise en évidence future du mode de jonction et d’intrication entre cette logique d’engendrement organique (description dans les termes d’une physio-logique) et cette logique corrélée d’engendrement mental (description dans les termes d’une psycho-logique). D’ailleurs, pour toutes ces raisons précédemment mentionnées, Osty conclue que la « substance » invisible détectée semble s’organiser en « systèmes gravitatifs vivants gérés par le psychisme du sujet en vue d’un acte extérieur exceptionnel » et que cette gestion s’est souvent déroulée « comme si » l’on avait affaire à une « intelligence » se comportant en ayant conscience « de la nécessité de préserver l’énergie agissante de l’action nocive des radiations infrarouges » en déplaçant les objets derrière le paravent (ultérieurement installé comme mesure de sécurité supplémentaire) par un subtil et délicat mouvement de translation sur la table puis par une ascension verticale le long de la paroi du paravent pour finalement les projeter hors du dispositif[[Ibid, p. 119.]]. On pourrait légitimement rendre compte de cette curieuse « ruse » du phénomène étudié dans le cadre de l’hypothèse théorique élaborée par Osty lui-même et selon laquelle la « force » agissante en question constitue un « prolongement » de l’organisme du sujet, une sorte de pseudo-organe transitoire et éphémère dont l’activité n’est pas forcément de nature consciente mais qui est dirigé et orienté par une connaissance subconsciente, de la part du sujet en état de transe hyperpnéique, des contraintes physiques du dispositif infrarouge et des écrans protecteurs, cette connaissance étant obtenue par des moyens non-conventionnels et extra-sensoriels qui ne seraient plus accessibles une fois que le sujet aurait réintégré un état de conscience « normal » ou habituel.

4/ Un doute légitime s’installe. La controverse générée par Harry Price autour d’une photographie douteuse.

De février à mai 1932, Rudi Schneider participe à une série d’expériences organisées à la NLPR sous la supervision d’Harry Price, puis, contre l’avis de ce dernier qui est en conflit avec la SPR depuis que le Président de cette société savante a décliné son offre de fusion avec sa propre société, Rudi Schneider accepte l’invitation qui lui avait été lancée par la SPR. Le 5 mars 1933, Harry Price publie dans sa propre revue un article retentissant où il prétend montrer que Rudi Schneider s’est laissé aller à la fraude[[Article du 5 mars 1933 paru dans sa revue de la NLPR au moment même où la SPR était sur le point de publier les résultats plus positifs de ses propres travaux avec Rudi Schneider dans ses Proceedings.]]. Tout l’article est basé sur une photographie accusatrice présentée comme datant du 28 avril 1932 (séance à la NLPR) et où l’on discerne ce qui semble être un bras de Rudi Schneider ayant furtivement échappé au contrôleur et se tendant vers la table où se trouve un mouchoir-cible à influencer télékinétiquement ! Qu’en est-il vraiment ? Rudi est-il, comme tant d’autres faux médiums, un tricheur invétéré enfin démasqué ? Ou bien cette soi-disant preuve cache-t-elle une réalité beaucoup plus sombre, et notamment un conflit d’intérêt s’étant reporté sur la personne de Rudi Schneider ?

La photographie accusatrice publiée par Harry Price en 1931 montre, selon son auteur, le bras de Rudi Schneider qui lui aurait échappé, tendu vers la table d’expérimentation.

Tout d’abord, les circonstances dans lesquelles la photographie en question a été prise paraissent bien étranges : en effet, il s’agit d’une image floue résultant manifestement d’une double exposition, or Price rend compte de cela en invoquant un défaut technique qui serait survenu au moment même de la prise de vue. Il explique aussi que lors de cette séance, il souffrait d’une douleur lancinante à la gencive, ce qui aurait induit chez lui quelque distraction momentanée dans ses contrôles, moments que Rudi se serait empressé d’exploiter à son avantage…. Mais ce qui est troublant c’est que Price prétend ne pas disposer d’une vue photographique complémentaire de la même scène, étant donné que le deuxième appareil photographique de la salle serait tombé malencontreusement en panne au même moment… Alors même qu’il reconnaît que cet appareil était opérationnel pendant toutes les autres séances ![[G. Gutierez, Les aventuriers de l’esprit, Presses du Châtelet, 2005, pp. 279-280.]] La photographie ressemble fort à une falsification effectuée par Price pour nuire à Rudi Schneider et se venger de ce dernier qui avait décidé de s’affranchir de son autorité et de ne pas suivre ses recommandations au sujet d’une éventuelle collaboration avec la SPR qu’il estimait inadmissible et néfaste pour son protégé. Une historienne, Anita Gregory, a réussi à montrer, en effectuant des recherches dans les archives de la NLPR, que le cliché soi-disant exhumé par Price n’a rien d’authentique, étant donné que le tirage original de la photographie incriminée est bien net et ne montre pas du tout la même image, ce qui suggère que Price aurait délibérément fabriqué un faux à partir de plusieurs épreuves photographiques pour nuire à Rudi et à la SPR…[[A. Gregory, The strange case of Rudi Schneider, Metuchen, Scarecrow Press, 1985.]]

5/ Une certitude raisonnable empiriquement et expérimentalement fondée. La conclusion d’Osty sur ses propres expériences.

Pour conclure, rappelons qu’Osty, après avoir envisagé toutes les hypothèses explicatives en termes de fraude ou de causes physiques classiques, réaffirme la validité et la rigueur des expériences spécifiques qu’il a menées avec Rudi Schneider, de 1930 à 1931. Le prix Nobel Charles Richet (1850-1935), alors Président de l’I.M.I., fit une communication à l’Académie des Sciences au nom d’Osty, dans une séance de mars 1932, où il présenta l’ouvrage Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière, exposé de quinze mois de travail. S’il ne rencontra pas d’opposition lors de cette séance, l’insertion de la communication aux comptes-rendus lui fut cependant refusée.

Au vu des conditions expérimentales mises en place et des sécurités instaurées, la charge de la preuve incombe davantage à celui qui cherche à expliquer les résultats obtenus par une habileté extraordinaire du médium plutôt qu’à celui qui reconnaît l’incommensurable invraisemblance d’une fraude et admet par voie de conséquence logique la réalité des capacités inhabituelles du sujet testé avec un système de détection aussi rigoureux. En effet, « prêter à un homme de conscience obscurcie par l’hyperpnée et à musculature contracturée, cependant qu’il respire bruyamment à une cadence tenue entre 200 et 300 respirations à la minute et qu’il est le prisonnier d’un pneumographe, le pouvoir de se libérer de deux contrôleurs, de rendre invisibles des rubans lumineux, de franchir des obstacles, d’effectuer pendant de nombreuses secondes, voire des minutes, de rapides occultations oscillantes et toujours partielles du faisceau des rayons invisibles, en un lieu souvent éclairé, puis de se remettre subitement à sa place dans le dixième de seconde de la déflagration du magnésium, laquelle déflagration résulterait, ne l’oublions pas, de son geste dans l’infrarouge, nous semblerait d’une imagination délirante »[[Revue metapsychique, Mars-Avril 1932, p.111.]]. Nous ne pouvons que souscrire à ce constat lucide et encourager la prise en compte, pour des recherches ultérieures, des renseignements recueillis par Osty au sujet de cette énigmatique médiation énergétique distale ou proximale qui semble être passée jusque-là incognito pour les médecins et les physiciens et qui semble bien pourtant entrer en jeu dans la compréhension du fonctionnement psychophysiologique précis de la télékinèse en particulier, et peut être aussi de la psychokinèse en général, si l’on admet qu’il y a bien un chaînon manquant qui reste à découvrir entre le domaine imaginal et le domaine objectal, entre le domaine mental intériorisé des velléités pures de l’imaginaire et le domaine physique des mouvements incarnés réalisant ces propensions en leur prêtant le souffle de la vie.

Thomas Landrez