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Les certitudes d’Husserl

Les certitudes d’Husserl

Dans sa cinquième Méditation cartésienne, Husserl entreprend une réduction ultime qui laissera seulement subsister le « monde mien ». A l’intérieur de l’époché générale, il pratique une réduction dans la réduction, pour instituer autrui à partir de moi, pour suspendre tout ce que l’expérience ordinaire doit à autrui.


Le moi de l’autre vient se refléter dans ma monade, et je puis alors seulement le constituer comme tel. Mais je ne puis accéder à sa monade, à son « éprouvé concret »: il y a là une barrière de principe, une barrière absolue, non négociable. Autrui est en quelque sorte « sous traité » par le moi , qui est le fondement absolu. « La donation d’autrui, commente Ricoeur (Soi-même comme un autre, p. 385), ne permet pas de vivre les vécus d’autrui, et, en ce sens, n’est jamais convertible en présentation originaire ».

Or, vivre les vécus d’autrui, à distance, et parfois sans aucun indice préalable, se souvenir des souvenirs de quelqu’un d’autre, éprouver les douleurs physiques d’un malade inconnu, ce sont là, pourtant, les étranges expériences exhibées par certains médiums et certains clairvoyants. Impossible chez ces personnes de circonscrire l’ego dans une enceinte étanche: il « fuit » de partout. La démarche de Husserl ignore donc une dimension de l’expérience massivement attestée, non seulement dans les cultures archaïques, mais en Occident.

Pourtant, c’est à une sûreté « apodictique » que prétend le philosophe. L’explicitation phénoménologique n’est pas pour lui une construction métaphysique parmi d’autres, elle va au-delà, pour atteindre le socle de la certitude absolue. Elle se fonde « sur l’ évidence la plus originelle, où toutes les évidences possibles et imaginables doivent avoir leur fondement »; elle ne fait rien d’autre – et Husserl insiste sur ce point – (…) « qu’expliciter le sens que ce monde a pour nous tous, antérieurement à toute philosophie, et que manifestement, lui confère notre expérience. » (p. 128 sq.)

Les faits du magnétisme et de la métapsychique, pour peu qu’on les prenne au sérieux, font vaciller ces certitudes, et invitent à se demander si Husserl, sous le couvert d’une élucidation phénoménologique donnée comme apodictique, n’aboutit pas tout simplement à systématiser et à absolutiser le sens commun occidental. Si ces vues sont exactes, il faut alors conclure à l’échec d’Husserl. Mais cet échec est un échec grandiose et révélateur, qui montre l’extrême difficulté, ou plutôt l’impossibilité, d’atteindre un socle de certitude dégagée de toute infiltration culturelle. Et surtout qui donne à voir, sous la prétention objectiviste de la phénoménologie, le travail invisible du décrire-construire. Si mes vues sont fondées, en prétendant décrire les fondements ultimes de notre présence au monde, Husserl n’en continuerait pas moins de participer à l’édification d’un certain type d’être humain.

 

Cet article est un extrait du livre de Bertrand Meheust : « 100 mots pour comprendre la voyance« .