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Le psi, Joker du futur ?

Le psi, Joker du futur ?

Le congrès 2002 de la Parapsychological Association (PA) s’est tenu à Paris, sous l’égide de l’Institut Métapsychique. Comme chaque année, selon son usage, la PA a invité une personnalité extérieure au monde de la parapsychologie. Cette fois-ci, l’invitée fut Isabelle Stengers, philosophe des sciences. Son discours de clôture soulève plusieurs questions, voire des défis, qui nous ont paru mériter de reproduire son texte in extenso.


C’est un plaisir pour moi de commencer par vous remercier de votre invitation que j’ai reçue comme un honneur. En vérité, quelles que soient les remarques critiques que je puisse faire plus loin, je souhaite tout d’abord exprimer combien le courage et la ténacité qui étaient – et sont encore – nécessaires pour que votre domaine, plus que de survivre se manifeste pleinement vivant, en dépit d’un environnement académique hostile ou indifférent est une grande leçon dans l ‘histoire de la connaissance humaine.
Je souhaite aussi exprimer ma gratitude au Président actuel de votre Association, Mario Varvoglis, qui m’a invitée et a accepté le préalable que je mettais à mon intervention : je lui ai demandé de m’envoyer la littérature contemporaine, en vue de me faire une idée de l’état de votre art aujourd’hui. Je suis en effet en dehors de votre domaine et je n’ai jamais accepté de m’adresser à des spécialistes en restant ignorante de l’essentiel de leur problématique.

Mario Varvoglis m’a envoyé le livre de Dean Radin The Conscious Universe et quelques articles récents. Parmi lesquels son message présidentiel dans le rapport annuel de l’an dernier. C’est de ce texte que je tirerai mon point de départ.

Quand j’ai lu la méditation de Varvoglis concernant le 11 Septembre et tous les dangers qui menacent notre avenir, avec son espoir que la parapsychologie puisse jouer le rôle de joker dans cet avenir, je me suis souvenu irrésistiblement de quelqu’un que vous ne pouvez avoir oublié dans votre association, Arthur Koestler.
De fait, Koestler a cherché avec beaucoup d’énergie des raisons d’espérer en l’humanité à venir. Il a exploré aussi bien les traditions scientifiques de l’occident que les traditions spirituelles orientales afin d’ouvrir une voie pour échapper aux impasses et aux désastres de la politique. Il en est finalement arrivé aux mêmes conclusions que Varvoglis : il se pourrait que la parapsychologie soit un joker dans un jeu très sombre.
Comme nous le savons tous, Arthur Koestler ne s’est pas contenté d’écrire sur la parapsychologie ; avec sa femme, ils ont agi selon leur conviction en rédigeant leur testament.

Je souhaite dédier à sa mémoire mon intervention d’aujourd’hui. Quoiqu’il en soit de ses faiblesses ou même de ses échecs en tant qu’homme, ils ne peuvent effacer sa quête exigeante et sa terrible lucidité. Il n’a cessé de chercher les raisons de ne pas désespérer et il nous lègue sa soif inextinguible d’un futur différent, une sorte de prière au milieu de l’obscurité. Arthur Koestler a fait tout ce qu’il pouvait, en tant que personne privée et en tant que penseur indépendant, pour aider les autres à jouer le seul « joker » qu’il ait pu trouver dans notre jeu. Près de vingt ans après sa mort, je me sens unie à vous par cette soif et cette espérance fragile, dont je sais que vous les partagez.
La référence à Arthur Koestler a une autre signification pour moi et je m’en servirai pour commencer ma contribution. De lire son magnifique livre à propos de l’histoire des systèmes cosmologiques, « Les somnambules » (The sleepwalkers – 1963) a changé ma vie.
A l’époque, j’étais en troisième année de chimie et j’avais pris la décision d’obtenir mon diplôme final, puis de me consacrer à la philosophie. De fait, j’ai été très impressionnée par la relation hypothétique que Koestler proposait entre l’état de l’astronomie avant Képler et l’état actuel de la physique quantique. Koestler se demande s’il ne nous faudrait pas un nouveau Kepler car, en dépit de toutes les innovations, il est fort possible qu’un idéal obsolète gouverne encore la physique, tout comme l’idéal du cercle avait gouverné l’astronomie jusqu’à Kepler, y compris la proposition révolutionnaire de Copernic.

Rassurez vous ! Ma décision de me tourner vers la philosophie n’était pas motivée par la moindre conviction que je pourrais être ce nouveau Kepler. Elle était motivée par la conviction que, si jamais ce nouveau Kepler surgissait, je ne pourrais le reconnaître, car j’étais éduquée de telle façon que je ne m’apercevrais de rien. J’avais seulement suivi un cours plutôt approfondi en physique et en chimie quantique et tout était normal. Normal dans le sens précis où Thomas Kuhn emploie ce terme. C’était la « science normale » avec ses succès passés et ses énigmes d’aujourd’hui.

Je suis devenue ainsi une philosophe qui s’intéresse à la diversité des pratiques visant à produire de la connaissance, et c’est en cette qualité que je m’adresse à vous ce soir.

La raison qui m’a fait choisir de ne pas devenir une scientifique a ici son importance. Je sais bien que des connexions ont été proposées entre les problèmes profonds de la physique contemporaine et un renouvellement de nos idées sur la relation entre l’esprit et la matière. Dans « Les racines du hasard » (« The roots of coincidence » – 1973), Koestler lui-même a cité nombre de physiciens qui expliquent à quel point nous sommes loin aujourd’hui de l’idée simple que la matière est inerte et suit un cours aveugle ; bien des citations nouvelles pourraient maintenant s’ajouter qui concernent, par exemple, la non-localité ou les mystérieuses propriétés du vide quantique. Et de fait, je pourrais trouver dans le livre de Dean Radin des allusions maintes fois réitérées à cette nouvelle physique révolutionnaire.

La tentation est grande de penser que l’idéal obsolète qui handicape la physique est qu’elle a transformé les notions classiques d’espace, temps et matière mais n’a pas fait un pas de plus pour réintroduire la conscience dans la réalité dont elle a été exilée. Mais pourquoi les scientifiques restent-ils obstinément attachés à la division traditionnelle entre l’esprit et la matière alors même que la matière, telle qu’elle était définie métaphysiquement, est maintenant bien morte et enterrée ?

Il se peut que nous devions transformer radicalement nos façons de comprendre ce que nous appelons maintenant esprit et matière, mais la question que je voudrais poser, en utilisant mon expérience passée d’étudiante en science, et aussi mon expérience présente de philosophe des sciences, est différente. Ma question concerne l’espoir que la physique révolutionnaire – comme on dit – pourrait devenir une alliée pour la parapsychologie. Je crains que cet espoir soit mal placé.
A la fin du dix-neuvième siècle, il se peut que le grand nombre de nouveautés expérimentales, intervenu comme une surprise pour les physiciens, ait conduit certains d’entre eux à prendre le risque de collaborer à une exploration susceptible de faire entrer dans le champ de la science encore d’autres manifestations étranges. Mais c’est le passé, et ce passé s’est retourné contre la parapsychologie en raison du contraste entre sa stagnation et le progrès de la vraie physique. J’insiste sur le fait que les problèmes fascinants que les physiciens semblent offrir à l’attention du public, sont en réalité des problèmes d’interprétation, qui impliquent l’acceptation de leur formalisme mathématique. Un peu comme si Copernic proposant le problème des épicycles, avait à en parler comme un mystère méritant l’attention du public (puisque son public en était encore à « penser avec des cercles ») .
Le fameux problème d’interprétation du « collapse de la fonction d’onde » peut bien avoir été associé à l’observateur ou même à la conscience ou à l’esprit de cet observateur, mais c’est seulement au niveau de l’interprétation d’un formalisme éminemment abstrait qui a été produit pour servir les exigences des mathématiques et certains résultats expérimentaux. Et quand un physicien s’exprime sur la possibilité pour une particule de voyager dans le temps vers le passé, il parle d’une propriété mathématique appartenant au formalisme de la mécanique quantique. Dans l’un et l’autre cas, le formalisme est restreint aux problèmes à propos desquels il a été produit.

L’idée précise d’associer l’intervention de la conscience humaine ou de l’esprit à la résolution d’un problème formel peut bien être une tentation pour certains physiciens qui n’hésitent jamais à outrepasser le champ d’application de leur savoir. Mais je voudrais objecter que céder à cette tentation, c’est accepter la division métaphysique cartésienne à laquelle vous voudriez échapper. C’est uniquement à cause de cette ligne de partage que nous pouvons penser en termes dualistes, attribuant à la physique toute compétence à propos de la matière. Et vous ne triompherez pas du dualisme en acceptant les termes opposés pour essayer ensuite de les articuler. Ils ont été définis pour s’opposer l’un à l’autre. Je suis personnellement convaincue que nous devons, pour penser, respecter les succès de la physique, nous réjouir du fait que les particules, localisées de façon cartésienne, avec une position bien définie, sont mortes et enterrées, sans pour cela donner une quelconque autorité aux problèmes formels des physiciens.

Par ailleurs, je ne pense pas que les physiciens deviendront jamais les alliés que vous attendez. Ce n’est que lorsqu’ils parlent à des profanes que les physiciens oublient les conditions tellement restrictives et abstraites qui donnent sens à leurs problèmes. Quand la physique se met à ressembler à la métaphysique, c’est toujours parce que ce qui intéresse réellement les physiciens, pour autant qu’ils travaillent ensemble, a été oublié et qu’ils s’adressent aux gens à l’aide d’images fascinantes, spectaculaires mais trompeuses.

Pour être bref, je dirai que l’extraordinaire liberté des physiciens contemporains, quand ils traitent de sujets conceptuels est en fait le genre de liberté que nous pouvons associer à l’image célèbre du somnambule sur le toit. Ils peuvent n’avoir peur de rien parce que leur conscience est concentrée sur leurs propres questions. Ils peuvent n’avoir peur de personne parce qu’ils sont les seuls maîtres de ce qui est possible et de ce qui n’est pas possible. Mais cette liberté n’est pas une liberté métaphysique, celle qui ouvrirait à notre imagination des possibilités auxquelles nous pourrions participer. C’est une liberté définie dans le cadre de leurs propres problèmes formels et mathématiques, qui ne nous fait aucune place.

Pour des physiciens les transformations révolutionnaires qu’ils annoncent ne sont pas un bien commun : elles viennent des problèmes produits par les physiciens, au cours de leur propre histoire, de laquelle ils sont les seuls auteurs. Plus généralement, l’idée même qu’il y aurait un certain type d’alliance possible entre la physique et la parapsychologie, en raison du fait que toutes deux seraient des sciences révolutionnaires, allant à l’encontre d’une tradition métaphysique dominante, ignore un petit problème. Ce problème est que cette tradition n’a jamais été une limitation pour la physique, depuis la période des forces de newton inexplicablement capables d’agir à distance. Quant à la parapsychologie, la première difficulté qu’elle doit affronter, comme Dean Radin l’explique, est « un conflit cognitif » avec la métaphysique.

La difficulté vient de l’image d’ensemble de l’entreprise scientifique en tant qu’elle est liée à l’opposition entre science et opinion ou superstition, avec un schéma principal disant que les gens ont cru ceci ou cela, jusqu’à ce que vienne une réponse scientifique, qui vient nous montrer à quel point ces croyances étaient erronées.

Dès ses premières manifestations, la croyance en ce qu’on appelle maintenant des « effets paranormaux », a été définie comme l’exemple même d’une crédulité populaire, non scientifique. Dès lors, ce serait un conflit cognitif d’accepter que tant de scientifiques se soient si longtemps trompés en éliminant le témoignage finalement valide de ceux qu’ils ont considéré auparavant comme tricheurs, dupes ou les deux. Mais apprendre des physiciens que la matière, ou l’espace-temps ne sont pas ce que chacun avait cru, appartient à ce qui est normal, vrai, par rapport à la saga du progrès scientifique.

Alors, ce n’est pas tellement un problème d’être rétif à un changement de perspective, comme celui qui est associé (par exemple par Radin), aux cas de Hershel et Wegener ou même à l’histoire de la fusion froide. Mais c’est un problème d’admettre que la véritable croisade menée, pendant plus de deux siècles, contre la croyance et la superstition, était erronée en ce qui concerne son objet le plus populaire, le plus spectaculaire et le plus polémique. C’est un tour des événements qui n’a aucun précédent et auquel les scientifiques résistent parce que cela signifierait qu’ils ne sont plus maîtres de la différence entre ce qui est possible et ce qui ne l’est pas.

Je me tourne maintenant vers un problème plus général, celui de vos collègues scientifiques qui ne tiennent toujours pas compte de ce qui est pour vous l’accomplissement du siècle passé, la démonstration que ce que vous étudiez existe en effet. Je ne discuterai pas vos preuves, mon intérêt, comme je vous l’ai dit, est dans la production de la connaissance et je ne me sens pas compétente pour vérifier si un résultat satisfait en effet les demandes qu’il prétend satisfaire : ma question est de comprendre ces demandes en elles-mêmes, ce qu’elles impliquent, ce qu’elles disent au sujet du genre de connaissance produite. Mon problème ici est donc de me demander si le genre de connaissance que vous produisez peut induire le type d’intérêt que vous espérez de la part de vos collègues.

Vous connaissez tous la phrase célèbre d’Henry Sidgwick, il y a plus d’un siècle, annonçant que le temps du débat était terminé, la question n’était plus de savoir si les phénomènes parapsychologiques existaient ou non : « il y a ici une anomalie ». La plus grande partie du livre de Dean Radin est une répétition de cette conclusion mais vous tous savez et craignez peut-être que, dans cinquante ou cent ans, on ait à produire la même affirmation. Je pense qu’il est important maintenant – et ce sera le point principal de mon intervention – de faire face à la faiblesse cachée dans la conclusion de Sidgwick. Je dirais : oui, en effet, il peut y avoir une anomalie, et même un plat entier d’anomalies. Et alors ! ? Ce « et alors ! ? » est important.

Je n’ai pas l’intention de m’appuyer sur l’actuelle sociologie des sciences pour décider que les scientifiques ne tiennent compte que de ce qui correspond à leur propre intérêt, la science n’étant qu’une construction sociale qui , en tant que telle, rejette ce qui n’est pas socialement accepté. Je suis une philosophe de la science, pas une sociologue, et mon intérêt est allé depuis le début, à la force créatrice des pratiques scientifiques, à leur façon de réussir à finir par éteindre les polémiques par opposition aux discussions interminables qu’on observe dans d’autres domaines.

Je suis intéressé par les différences et non par les similitudes. Mais je ne vois pas la différence par rapport à une méthode rationnelle générale organisée autour de faits bien établis. Il y a beaucoup de sortes de sciences expérimentales, et la plupart d’entre elles, aujourd’hui, sont en vérité routinières, se bornant à établir des faits. Mais ce sont celles qui fonctionnent sur des bases socialement admises : le genre de faits qu’elles produisent peuvent avoir des conséquences, mais ces conséquences sont définies au préalable. Ce n’est pas ce qu’on pourrait appeler l’aventure des sciences expérimentales. Dans ce deuxième cas, l’idéal officiel qui est d’établir un fait au delà de tous les doutes ne marche pas et aucune caractérisation générale simple n’est possible, ni en tant que forme d’un scepticisme organisé, ni en tant que forme d’un dogmatisme organisé. Il s’agit de ce que j’appellerais un processus collectif d’innovation organisée.

Les sciences innovantes, voilà ce qui m’intéresse. Les sciences routinières peuvent être des pratiques tout à fait honorables, ou elles peuvent être un vrai désastre, si elles bloquent, au nom de la science, la possibilité de nouvelles questions et de nouveaux risques. Mais elles ne présentent aucun problème spécial en tant que leur autorité est associée aux pratiques conservatrices. C’est le fonctionnement des sciences innovantes qui devrait vous intéresser, puisque si une science eut jamais l’ambition d’être innovante, c’est bien la parapsychologie.

Une innovation n’est pas simplement un nouveau fait établi, quelque chose que vous ne pouvez pas nier plus longtemps. Ce doit être un fait intéressant. Vous pouvez dire : qu’est ce qui pourrait être plus intéressant que le genre de problèmes dont traite la parapsychologie ? En effet ! Mais dans le cas du processus de l’innovation scientifique, « intéressant » prend une signification différente. Ce ne sont pas les grandes questions, celles dont vous ne savez comment les traiter, qui sont intéressantes, mais plutôt de nouvelles possibilités pratiques de les traiter. La réaction : « oui, cela peut bien être établi, et alors ? ! » est l’échec réel. Quant à la réaction intéressée elle retentit typiquement comme : « si mon collègue a raison, si en effet il a réussi à établir ceci ou cela, alors je pourrais en tenir compte pour avancer dans mon propre problème selon cette nouvelle direction ».

Le scepticisme et la critique font partie de ce processus collectif d’innovation mais ils ne sont pas des attitudes générales. Ils sont nécessaires parce que si vous acceptez une affirmation et l’utilisez dans votre propre recherche, vous devenez dépendant de cette affirmation : si elle n’était pas fiable, vous aurez perdu du temps, de l’argent et du crédit (auprès de la communauté scientifique). Et c’est la force des sciences expérimentales sous leur forme la meilleure, que scepticisme et critique ne soient pas censées détruire une possibilité mais examiner son sérieux. Ainsi le fait de clore une polémique peut constituer un accomplissement, même pour ceux dont les doutes ont été réduits au silence, si faire taire ces doutes a été l’occasion de comprendre de nouveaux aspects de la situation. Le « parti » réduit au silence a fait son travail, il a participé au processus d’innovation, et il peut même arriver qu’il se réjouisse de concert avec le parti de ceux qui ont eu gain de cause.
Je suis conscient de ce que cette description est un peu idéalisée, mais c’est, pour moi, une idéalisation appropriée. Alors que l’idée qu’une preuve serait une fin en soi, suffisante pour réclamer de l’intérêt, est un idéal positiviste, non pertinent, menant à de triste déconvenues et au malentendu.

Les scientifiques innovants ne seront pas intéressés, si ce que vous proposez ne peut engendrer une différence pratique dans leurs propres questions, telles qu’ils les définissent. Et si néanmoins vous prétendez qu’ils devraient être intéressés, ils emploieront toute forme de duplicité normative [1] que vous pouvez imaginer, ils donneront n’importe quelle justification à leur scepticisme. C’est que leur résistance cache mal une raison très profonde : ce que vous leur proposez n’est d’aucun secours dans leur travail.
L’expression même de Sidgwick « il y a une anomalie » met le doigt sur le problème. Il arrive en effet que des anomalies soient associées à de grandes innovations, mais seulement dans la mesure où elles ont cessé d’être de pures anomalies et en sont venues à être associées à un autre genre d’interprétation de travail, dans l’armature de laquelle elles reçoivent une signification positive. Dans beaucoup de cas, une anomalie reste, sans plus, dans le tiroir, attendant des temps meilleurs. Personne ne sait la traiter parce qu’elle constitue seulement l’indication qu’il y a quelque chose qui ne colle pas dans l’ensemble complet des théories, dans les interprétations, les dispositifs, les modèles permettaient une anticipation. Aussi longtemps qu’elle en reste là, aussi longtemps que personne ne peut transformer ce résultat négatif en quelque chose de positif, l’anomalie restera muette quant à ses conséquences.

Vous aurez compris que j’ai peur que la phrase de Sidgwick puisse bien être répétée encore et encore, aussi longtemps en fait que les parapsychologues croiront en une version positiviste de la science, version dans laquelle un fait anormal devrait être suffisant pour être reconnu et obtenir de l’intérêt.
Je sais que nombre d’entre vous objecteront que dans la parapsychologie, l’anomalie est en soi une preuve positive : la scène entière est organisée de telle manière que n’importe quel sceptique soit obligé d’identifier que le hasard ne règne pas complètement où il le devrait, et que c’est là la preuve positive de l’existence d’un facteur inconnu. Personne ne devrait pouvoir dire « Et alors ! ? », puisque l’anomalie répond au défi que la parapsychologie scientifique s’est organisée pour relever.
La réaction « et alors ! ? » est tout à fait injuste en effet, mais un défi n’a jamais été prévu pour être juste. Les défis sont justes si les deux parties se mettent d’accord sur les conséquences ; ce qui est possible quand les deux parties s’intéressent à ces conséquences. Dans le cas de la parapsychologie, les seules conséquences bien définies sont celles qui résulteraient de votre échec. Vos « faits » ne sont pas les seuls « dont on connaît l’existence » sans pour autant les prendre positivement en considération, sans qu’aucune attention soit accordée à ce qu’ils signifient ou impliquent.

Le meilleur exemple en est le fameux « effet placebo ». Le dispositif d’ensemble des essais cliniques pour de nouvelles drogues témoigne de son existence, mais ceci ne signifie pas qu’il intéresse les scientifiques. Ce qui les intéresse c’est éviter d’attribuer à une molécule ce qui peut s’expliquer par l’effet placebo. Ainsi cet effet est défini, pratiquement et techniquement, comme une sorte de bruit statistique, et la seule chose exigée est que le signal associé à la molécule testée, soit plus fort que ce bruit.

Je dois souligner que les scientifiques ont tout à fait raison de ne pas s’essayer à comprendre l’effet placebo en tant que tel. Car cet effet est défini dans le cadre des essais cliniques, et la manière dont il est défini implique que c’est un obstacle à surmonter, pas quelque chose d’instructif. Si nous voulions apprendre quelque chose au sujet des moyens thérapeutiques alternatifs nous traiterions de la puissance des prières et des rituels que les cultures humaines ont produits durant des millénaires. Mais ces moyens sont laissés dehors : ce qui reste peut seulement être défini comme ce que vous ne pouvez pas éliminer, une fois que vous avez supprimé toute action, sauf celle de la molécule que vous testez.

Mon problème avec la stratégie dominante en parapsychologie peut être clarifié à travers le cas de l’effet placebo. Au nom de la preuve, c’est à dire pour convaincre les sceptiques, il me semble que, le plus souvent, les expériences sont agencées à la manière de l’effet de placebo : le produit en est par définition ce qui reste quand toute connexion significative, que les sceptiques pourraient mettre au service de leur scepticisme, a été éliminé. Mais la grande différence entre les essais cliniques et l’essai parapsychologique est que dans le premier cas, ce qui est examiné est l’existence d’un effet curatif qui pourrait être associé à l’absorption de la molécule, et cet effet est défini par les chercheurs comme indépendant de la manière dont il est absorbé : idéalement la molécule doit agir même si vous l’avez prise à votre insu.

Puisque l’effet bénéfique que l’essai clinique est censé mettre en lumière est défini par son indépendance vis à vis de l’agencement de l’essai clinique, son caractère neutre, épuré – qui est une nécessité parce que dans cet agencement les statistiques commandent – n’importe pas. Mais il n’en va pas de même, évidemment, pour les effets paranormaux. Ici, l’idée même que ces effets pourraient être indépendants de ce que j’appellerais une forme de culture va contre ce que nous savons des traditions religieuses ou spirituelles, et également de la tradition du magnétisme.

Évitons les malentendus. Je n’hésite pas entre science et religion, entre causes naturelles et surnaturelles. Ce qui m’intéresse, c’est la grande diversité des connaissances produisant des pratiques. Et ce qui m’intéresse le plus est la manière dont cette diversité peut être liée à ce que j’appellerais un « problème d’environnement », c’est la question de la relation entre l’ « ethos » ou façon de se comporter, la « réalité » visée par la question scientifique et son « écologie ». La question « étho-écologique » porte sur le genre d’environnement dont on une chose a besoin pour qu’on puisse l’embrasser et obtenir une certaine stabilisation, stabilisation nécessaire pour en apprendre quelque chose.

Les bactéries sont parmi les premiers organismes accomplis et elles ont besoin seulement d’une nourriture adéquate et d’une température appropriée pour proliférer, de sorte qu’elles sont de très bons sujets pour les essais expérimentaux qui impliquent toujours un environnement épuré et bien contrôlé. Mais nous savons que jamais le petit bébé humain ne pourrait parler ni même marcher sur ses deux pieds s’il n’était pris en charge par des éducateurs humains. Si vous essayez de jouer avec ces besoins au nom de la science, vous n’êtes plus un scientifique mais un criminel.

Quant à l’aventure personnelle qui commence pour l’être humain lorsque on lui a donné la capacité de marcher et de parler, elle fait partie de la définition de l’homme mais ne peut se réaliser en se bornant aux processus biologiques, cette aventure a été une cour de récréation pour l’invention humaine. Les livres ont fait de moi ce que je suis devenue au niveau de mes sentiments et de mes pensées, mais je sais très bien que d’autres êtres humains ont pensé et pensent, ressentent les choses d’une toute autre manière, sans avoir besoin de mes livres.

Quand il s’agit des humains, la question des nombreuses sortes d’environnement nécessaires pour embrasser et stabiliser les divers types de devenir que nous pouvons explorer, est la question de la culture. La culture est ainsi non seulement une question d’idées ou de valeurs, c’est la matière même de notre venue à l’être et de notre comportement. C’est la question de ce qu’exigent nos possibilités variées de devenir.

Quelle que soit l’explication de l’effet paranormal, nous savons qu’il est souvent lié à ces cultures qu’on peut appeler « traditions spirituelles ». L’ambition même de la parapsychologie, qui était déjà l’ambition du magnétisme animal initiée par Mesmer et Puységur, peut être définie comme tentative de les épurer des croyances religieuses, pour les produire dans un nouveau contexte déterminé par les problèmes de la connaissance. Mais cette ambition peut également être définie comme l’ambition pour changer le genre de culture auquel ces effets peuvent être associés.

Personne ne peut décider, au nom de la science et de l’objectivité, que les effets paranormaux n’aient pas besoin d’une culture, peuvent être épurés à volonté sans être détruits ou sinon qu’ils ne méritent pas un statut scientifique. La purification de croyances religieuses ou spirituelles particulières ne signifie pas qu’on puisse arbitrairement soumettre ces effets aux standards généraux de la science. Elle impose de prendre le risque d’explorer d’autres environnements culturels, nouveaux et appropriés, afin de satisfaire ce que nous pourrions apprendre sur ce qui en constitue les conditions.
Le problème que je soulève n’est pas neuf. Il est discuté parmi vous, mais je pense qu’il peut être important de souligner qu’il a surgi avant la parapsychologie. La mémoire a ici son importance. Quand vous devez faire face à une disqualification, il est important de ne pas éliminer les autres, mais de comprendre qu’ils ont dû eux-mêmes faire face à ce qui vous confronte aujourd’hui.

Bertrand Méheust, dans un livre fascinant, qui je l’espère sera traduit en anglais, a écrit l’histoire française de la grande tradition du magnétisme au XIXème siècle et de l’ambition qu’elle avait de faire reconnaître, par les autorités académiques, les talents paranormaux. Je soulignerai seulement un point remarquable dans cette histoire dramatique,lafaçondont l’hypnose en vint a être promue, contre le magnétisme, comme la véritable étude scientifique, en réduisant les talents mystérieux du magnétiseur clairvoyant à de purs phénomènes pathologiques ou psychologiques. Comme nous le savons, cette ambition a échoué : Charcot, Bernheim et d’autres ont été accusés d’avoir, sans le savoir, produit ce que nous appelons des artéfacts.Cequ’ilsont décrit comme pur phénomène était induit, en fait, par le dispositif utilisé et leur propre anticipation. On a même parlé d’une « culture de la Salpêtrière », l’endroit où Charcot a produit la démonstration expérimentale de l’hypnose. Mais pour moi cet échec est moins intéressant que le genre d’ambition qui a ainsi échoué, ambition pour singer les pratiques expérimentales habituelles.

Afin de gagner la respectabilité scientifique refusée au magnétisme, l’hypnose devait se rendre compatible avec le dispositif expérimental, avec sa séparation radicale entre l’hypnotiseur (« le scientifique », qui devrait être neutre, un pur « n’importe qui » ), et son sujet (censé obéir et qui ne devrait pas être l’auteur ou le co-auteur, mais plutôt le siège de la manifestation de l’intérêt scientifique).

Ceci a fonctionné en opposition à toute la pratique du magnétisme. Le magnétisme ne peut pas être défini comme tradition spirituelle en tant qu’il visait la production d’une connaissance rationnelle, mais cela impliquait la production et la culture d’une relation, le fameux « rapport magnétique », et la formation d’un vrai couple, le magnétiseur et son partenaire clairvoyant. En d’autres termes il s’agissait de ce que j’appellerais une production culturelle, produisant un nouvel environnement re-produisant, ou ré-affirmant ce que les environnements spirituels et religieux avaient stabilisé et cultivé.

Et ainsi l’avaient compris les magnétiseurs eux-mêmes. Ils ont protesté contre l’hypnose, indiquant qu’on ne produirait jamais, dans ces conditions, ce dont serait capable le magnétisme, mais seulement une caricature, juste bonne pour des spectacles de foire. Au lieu d’élever le sujet on le dégradait. En outre, le genre d’effets qui étaient privilégiés aboutissait à la sélection de personnes malades et faibles, et pas de celles susceptibles de devenir clairvoyantes. En d’autres termes la redéfinition du magnétisme en hypnose n’était pas une purification mais une mutilation car elle coupait la manifestation de son écologie propre.
Je sais bien que le problème que je soulève est un problème très général. En fait il devrait s’adresser à toute l’entreprise de la psychologie expérimentale, puisque l’idéal de purification, d’une stricte division entre un scientifique neutre et objectif et un sujet se soumettant, au nom de la science, aux questions de ce scientifique, puisque cet idéal règne souverainement en psychologie expérimentale.
La question pourrait être alors : puisque la parapsychologie a déjà d’aussi lourds problèmes pour se faire reconnaître, ne devrait-elle pas se limiter à la définition admise de l’objectivité scientifique et ne pas prendre de risques dans toutes les directions à la fois ?

Mais il y a un autre aspect à cette question. Il s’agit de la différence que j’ai déjà faite entre les sciences innovatrices et les sciences courantes. La psychologie expérimentale est une science courante. Ce qu’elle épure et encadre dans des dispositifs expérimentaux bien-contrôlés, est déjà stable, ce n’est donc pas paranormal mais normal, en tant que cela a déjà été stabilisé par notre culture commune. Et en tant que tel cela peut être reproduit. Plus précisément cela résistera à l’étrangeté du dispositif expérimental en raison de la bonne volonté des sujets d’expérience. Ils acceptent par habitude de servir la science, parce que servir la science fait également partie de notre culture.

Il n’en va pas de même en parapsychologie. Ici la bonne volonté n’est pas suffisante parce que ce qu’on doit caractériser ne s’inscrit pas dans un scénario déjà stabilisé. Afin d’apprendre, les scientifiques doivent apprendre ensembles avec leurs sujets, ou mieux, leurs partenaires, ce qui est l’environnement culturel approprié requis pour un devenir commun.
Pour moi c’est la raison même de mon intérêt pour votre domaine. Ce champ peut par la suite être le champ innovant où la psychologie cesserait d’imiter le genre d’objectivité de la physique, ou de la chimie, et apprendrait à produire la connaissance relativement à ce qui est vraiment important quand l’humain est concerné, je veux dire ce que nous appelons devenir. Devenir capable de penser et de sentir. Les renouveaux de la métaphysique surviennent toujours après qu’on ait surmonté les routines dominantes. Aujourd’hui, ce qui domine n’est pas tellement une séparation métaphysique entre esprit et matière, mais un modèle de la connaissance. Ce modèle peut être fructueux quand il s’agit de ce que la physique appelle matière, mais il n’est d’aucun secours quand ce que nous devons traiter est l’écologie du devenir, ce devenir qu’on peut associer à l’esprit ou à la conscience.

J’aimerais dire encore qu’en termes de stratégie scientifique, prendre le risque de pertinence peut être important de deux points de vue à la fois : point de vue interne, correspondant à la stabilisation de votre communauté scientifique, et point de vue externe, qui serait d’obtenir la reconnaissance générale.
Du premier point de vue, le problème de la stabilisation d’un effet, des conditions écologiques ou culturelles optimales pour sa production est en fait le problème de toutes les sciences expérimentales innovatrices. Ce qu’on appelle objectivité n’est que la réponse réussie à ce problème.

On a dit, tout à fait correctement, au cours de cette réunion, que les sciences habituelles ne répliquent jamais les expériences. En effet tout leur effort est plutôt d’expérimenter sur les conditions afin de stabiliser l’effet. C’est nécessaire parce qu’un nouvel effet n’est jamais re-productible au début, il est toujours erratique, et cela demande du travail à beaucoup pour apprendre ce qui, en effet, peut s’appeler son écologie : les bonnes procédures, gestes et instruments pour l’apprivoiser. Le succès est ainsi un succès collectif : « maintenant, nous avons appris comment produire ceci ou cela d’une manière fiable ». Et c’est ce « nous » de « nous avons appris » qui produit la véritable identité collective d’une communauté au travail, c’est la capacité pour ses membres de partager non seulement des résultats, mais encore plus important, des histoires pratiques, vivantes de succès.
Le progrès comme entreprise collective veut dire coopération, et ce qui est accepté comme preuve n’est pas un résultat méthodologiquement bien établi mais le produit d’un apprentissage collectif qui produit tout à la fois le résultat et la méthode.

Je me tourne maintenant vers le deuxième point, le point de vue externe. Car on l’a déjà dit, la parapsychologie ne convaincra jamais les sceptiques. Après une purification exigée viendra toujours une nouvelle exigence de purification. Si jamais vous convainquez un sceptique, un autre se lèvera. Une présentation de soi faisant la part belle au sceptique, disant encore et encore il y a une anomalie, a peu de chances de réussir. En revanche, ce qui peut réussir est la présentation de ce qui aura été appris.

En effet les sceptiques sont libres de critiquer sans fin, sans coopérer, parce que l’impression générale que vous leur donnez est celle d’une stagnation. Le pire argument contre vous, c’est la stagnation. Ce qui est nécessaire afin d’intéresser, c’est afin de défaire le scepticisme, non tant une accumulation d’anomalies de plus en plus étranges que des histoires de « succès », histoires indiquant le genre de succès qui accompagne les sciences innovantes.

Une nouvelle anomalie, aussi extraordinaire soit elle, n’est pas un succès, mais une découverte empirique muette. Ce que les scientifiques appellent succès, et une science innovante a besoin de succès pour être reconnue, doit être dit selon les termes de ce qu’on a compris. Et ceci ne veut pas dire théorie. Ceci ne veut pas dire explication. Cela signifie que l’effet a cessé d’être muet, que vous pouvez décrire ce qu’il vous a appris, plus précisément comment vous avez appris à apprendre à partir de lui, comment vous avez compris ce qu’il exigeait pour devenir quelque chose dont on peut apprendre.

Je suis étranger à votre domaine, et je suis désolée s’il vous semble que vous savez parfaitement ce que je dis et que vous en débattez déjà. Je suis également tout à fait consciente des problèmes énormes que vous devez affronter. Je n’essaye certainement pas de vous dire quoi faire. Je suis une étrangère, une étrangère intéressée. Mais aussi une étrangère qui a un peu peur pour votre futur, et je vous demande de vous servir de ma réaction pour mesurer la façon dont votre champ peut être perçu de l’extérieur, à travers la lecture du livre de Dean Radin par exemple.

Je n’ai aucunement le droit d’être critique à l’égard de votre décision d’essayer de répondre aux normes exigeantes qui vous obligent à prendre vous même une position sceptique pour prouver qu’on peut faire de la science normale même lorsque on traite d’effets bizarres. Ce qui me fait un peu peur, c’est que je ne perçois pas ce que vous éprouvez quant au prix à payer en termes de limitation, pour obtenir la reconnaissance. Je vous ai dit au sujet des sciences innovantes, qu’il s’agissait généralement de sciences intéressantes, ouvrant de nouvelles possibilités et produisant de nouveaux liens pratiques. Vous êtes des scientifiques innovants, s’il en est, mais je n’ai pas perçu le genre de rêves et d’espoirs qui donnent d’habitude à l’étranger une idée du contraste entre « aujourd’hui » et ce que l’étude innovante pourrait apporter « demain ».
Je suis très pragmatique ici. Mon problème ne concerne pas des rêves métaphysiques irréalistes mais des rêves pragmatiques, portant sur les différences que vous pourriez faire, le sens de nouvelles possibilités que vous pourriez susciter. Ce qui signifie également des alliances avec les gens de l’extérieur. Si les études sociales des sciences nous ont appris quelque chose, c’est bien qu’une science a besoin d’alliés, de gens pour qui ce que vous essayez de réaliser marque une différence pratique, mais aussi de gens qui, à la différence des physiciens, peuvent vraiment être des alliés culturels, produisant le genre de compréhension et d’intérêt appropriés dont toute science innovante a besoin. La question importante ici serait : que pouvez-vous apporter aux groupes et aux pratiques extérieurs et que peuvent-ils vous apporter ?
Je ne suis pas quelqu’un de religieux. Je n’attends pas le salut, ou aucun joker, venant d’un genre de transcendance, y compris le transcendance de la preuve scientifique. Car, je l’ai dit précédemment, les preuves scientifiques sont importantes quand elles sont intéressantes, et elles ne sont intéressantes que si leur occurrence signifie un nouveau genre de lien pratique avec n’importe quelle réalité à quoi elles touchent. Dans ce cas personne ne dit, « oui, il y a peut-être une anomalie, et alors ! ? », parce qu’avec la preuve vient le sens partagé de nouvelles possibilités.
C’est pourquoi mon espoir pour un joker en fin de compte lié à la parapsychologie n’est pas un espoir dans l’acceptation de l’existence des effets paranormaux en tant que tels, comme si cette acceptation avait par elle-même le pouvoir de changer notre jeu. Un joker est sans signification si vous n’inventez pas comment jouer avec. Mon espoir est dans l’aventure d’apprendre comment traiter ces manifestations d’une manière appropriée, d’apprendre le genre d’écologie dont elles ont besoin, et d’éprouver les possibilités que cet apprentissage implique.

Une telle aventure, si elle garde une saine connexion avec les demandes de n’importe quelle aventure scientifique, offrirait une chance de renouveau aux aventures scientifique en tant que telles : un renouvellement dont elles ont un cruel besoin.

Et ici je rejoins finalement Arthur Koestler. En effet, il était convaincu que le drame des temps modernes était le manque complet de symétrie entre les nombreuses innovations qui ont transformé techniquement notre monde, nous donnant les moyens de le détruire, et les façons statiques, voire régressives dont les êtres humains ont continué à se traiter les uns les autres et à vivre leurs propres expériences. C’est probablement parce qu’il a estimé que votre domaine pouvait devenir une source pour le type de sagesse pratique et d’invention dont nous manquons qu’il a décidé de faire ce qu’il pouvait pour vous aider.

Et j’ai osé m’adresser à vous de la manière que j’ai fait en raison du même sentiment. Je vous remercie de votre patience.