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Contributions de la parapsychologie à la psychologie.

Contributions de la parapsychologie à la psychologie.

Dans son discours Présidentiel présenté le 12 août dernier au congrès 2005 de la Parapsychological Association, Caroline Watt, PhD en psychologie, montre les liens qui existent entre parapsychologie et psychologie. Elle-même enseigne la parapsychologie à des étudiants en psychologie de l’Université d’Edimbourg.


La Parapsychological Association (PA) est la seule association professionnelle internationale qui rassemble les parapsychologues. J’ai été élue présidente de cette association en 2004-2005. Le 12 août dernier, j’ai présenté mon discours présidentiel au congrès annuel de l’association. Voici une version remaniée de ce discours.

Nombreux sont ceux qui parmi nous ont d’excellents souvenirs du congrès 2004 de la Parapsychological Association, à Vienne, où Bob Morris se montrait chaleureux comme à son habitude. Personne n’aurait alors pu deviner, lorsque Nancy Zingrone m’a transmis la Présidence, que Bob allait mourir tragiquement moins d’une semaine après la fin du congrès, exactement un an avant la date de ce discours, le 12 août. Je n’aurais jamais imaginé qu’il ne serait pas assis fièrement dans le public pour écouter mon premier discours présidentiel.

C’est grâce au travail de Bob Morris que la parapsychologie continuera d’être intégrée au département de psychologie de l’Université d’Edimbourg. Je pense qu’une des raisons pour lesquelles Bob Morris a si bien réussi cette tâche est qu’il était particulièrement doué pour mettre en évidence les apports de la parapsychologie à des domaines comme la médecine, la physique ou la philosophie. Je vais montrer dans ce discours ce que la parapsychologie peut selon moi apporter à d’autres domaines scientifiques, en me concentrant plus spécifiquement sur sa contribution à la psychologie. Je me servirai d’exemples historiques et actuels ainsi que de l’expérience que j’ai acquise sur la « ligne de front » en tant que parapsychologue au sein d’un département de psychologie d’une grande Université du Royaume-Uni. Ce faisant, j’aborderai également certaines des faiblesses de la parapsychologie, du moins ce que je tiens pour tel, et je suggérerai les mesures à prendre pour la rendre plus forte.

« Phénomènes mentaux » et expériences anormales

La première idée que je vais développer est que la recherche psychique et la parapsychologie ont un rôle important à jouer pour maintenir les « phénomènes mentaux » et les expériences « anormales » (appelées aussi expériences exceptionnelles ou psi) dans l’horizon de la recherche académique. Par « phénomènes mentaux », j’entends l’étude de la conscience, de l’intentionnalité, mais aussi celle des phénomènes « dits » paranormaux, tels que les perceptions extra-sensorielles et l’influence de l’esprit sur la matière. Les histoires de la psychologie et de la parapsychologie sont étroitement liées. Toutes deux ont partagé des centres d’intérêt et des problématiques communes et ne peuvent être aisément dissociées l’une de l’autre. En abordant certaines de ces problématiques, les chercheurs qui travaillaient dans le domaine des sciences psychiques ont fréquemment été des précurseurs dans les deux disciplines.

La psychologie expérimentale débuta avec la création du laboratoire de psychologie de Wilhelm Wundt, à Leipzig, en 1879. L’accent était alors mis sur la compréhension des fonctions perceptives, cognitives et motrices de l’être humain à partir d’analyses statistiques de données expérimentales. Aux Etats-Unis comme en Europe, de nombreux chercheurs en psychologie expérimentale ont travaillé avec l’idée que la nature était compréhensible par le biais d’une observation attentive menant à la découverte de lois mécanistes. Cependant, en Angleterre, un groupe dissident estima que le modèle mécaniste dominant avait réduit malencontreusement le rôle de l’esprit dans la nature. Des historiens, comme Oppenheim (1985) et Plas (2000), soutiennent que ce groupe a exercé une forte influence sur les développements ultérieurs de la psychologie.

Frederick Myers, Henry Sidgwick et Edmund Gurney étaient des figures académiques éminentes et respectables qui ont tenté d’appliquer une méthodologie scientifique à l’étude d’une grande variété de « phénomènes mentaux ». Ils ont étudié la possibilité de la survie de la personnalité humaine après la mort, les phénomènes anormaux associés au mesmérisme et les étranges manifestations physiques censées se produire lors de séances avec des médiums spirites. Ces phénomènes sont aujourd’hui associés à la parapsychologie, mais les premiers psychologues considéraient que ces sujets avaient tout à fait leur place au sein de la psychologie classique (Oppenheim, 1985). Ces chercheurs remettaient en question la visée réductionniste et mécaniste prédominante de la psychologie du début du siècle.

Prenons un exemple concret, le deuxième congrès international de psychologie expérimentale qui s’est tenu à Londres en 1892, dix ans après la création de la Society for Psychical Research (SPR). Le président de ce congrès, Henry Sidgwick, était aussi président de la SPR et la majorité des psychologues participant à ce congrès étaient des membres de la SPR et des sympathisants de cette société (Sidgwick & Myers, 1892). Dans son discours d’introduction sur l’avenir de la psychologie, l’éminent physiologiste français, Charles Richet, consacra une place importante de son discours à la psychologie transcendantale, c’est à dire la psychologie qui étudie ces « phénomènes mentaux ». Les exposés présentés lors de ce congrès comprenaient notamment ceux d’Henry Sidgwick sur les apparitions, de Frederick Myers sur les hallucinations et d’Eleanor Sidgwick sur les expériences de transmission de pensée. A cette époque, la distinction entre « normal » et « paranormal » n’était pas clairement définie. Ces chercheurs abordaient des domaines et des problématiques (comme les processus à l’œuvre dans l’hypnose) qui étaient tout aussi inconnus pour la psychologie de l’époque.

Plusieurs historiens ont démontré de façon convaincante l’influence des ces chercheurs sur le développement de concepts qui allaient être intégrés au sein de la psychologie classique. Les études de Gurney et Myers sur l’hypnose et les médiums ont aidé au développement des concepts de dissociation et de subconscient (Alvarado, 2002, 2005 ; Kelly, 2001). Pierre Janet et Alfred Binet, en s’intéressant aux liens entre médiumnité et pathologie, ont permis le développement de plusieurs concepts novateurs en psychopathologie et en psychiatrie (Alvarado, ouvrage sous presse). Et dans son ouvrage La découverte de l’inconscient, paru en 1974, Ellenberger a soutenu l’idée que l’intérêt des psychologues pour les phénomènes psi et le spiritisme a eu une influence sur le développement de plusieurs concepts en psychologie (voir aussi Alvarado, 2003a).

De nombreux articles de Carlos Alvarado montrent l’intérêt et l’apport de la parapsychologie pour les scientifiques provenant d’autres domaines de recherche. Ses publications dans l’American Journal of Psychiatry (Kelly & Alvarado, 2005), le Journal of Trauma & Dissociation (Alvarado, 2002) et l’American Psychologist (Alvarado, 1987) montrent clairement les contributions de la recherche psychique au développement de concepts en psychologie et en psychiatrie. Il s’agit là d’une démarche importante que les parapsychologues doivent investir d’avantage. Si nos collègues psychologues apprennent à connaître et à comprendre la contribution de la parapsychologie à la psychologie, il leur sera plus difficile de considérer la parapsychologie comme un domaine marginal et sans intérêt. Depuis cette intrication des débuts, la contribution principale de la parapsychologie a peut-être été sa façon de contester l’approche limitative des premières recherches de psychologie expérimentale et de préconiser également les études de notions complexes comme le libre arbitre, la conscience et les interactions esprit-matière. Ainsi, comme Emily Kelly le suggère, « si la parapsychologie ne fait rien de plus que remettre en question des hypothèses au sujet de questions fondamentales concernant l’esprit, la conscience et la volonté, il s’agit déjà là d’une contribution significative à la science en général » (Kelly, 2001, p 86).

Plus récemment, nous avons pu observer un regain d’intérêt pour l’étude de la conscience et de la parapsychologie, comme Dean Radin l’a montré dans son livre La Conscience Invisible. Radin (1997) rapporte dans cet ouvrage les résultats d’une étude portant sur les publications parues entre 1800 et 1990, et dans le tire desquelles figurait le mot « conscience ». 50 % des livres publiés sur ce sujet sont parus depuis les années 80. De la même manière, l’intérêt pour la parapsychologie a considérablement augmenté ces dernières décennies. Plus de 50 % des livres ayant le terme « parapsychologie » dans leur titre sont parus depuis les années 70. On remarque ainsi une augmentation générale du nombre de livres publiés sur ce sujet, même si cette croissance demeure limitée par rapport à celle des publications en psychologie. Ces chiffres suggèrent que les éditeurs apprécient les ouvrages sur la conscience et la parapsychologie et que le public porte un grand intérêt à ces sujets. Cela ouvre des perspectives intéressantes pour les parapsychologues si les gens acceptent d’entendre ce que nous avons à leur dire.

De nos jours, la psychologie semble de nouveau évoluer vers une approche réductionniste. Depuis la « ligne de front », je peux observer cette tendance en Grande-Bretagne, comme si l’histoire se répétait. Des thèmes tels que la psycholinguistique et les neurosciences cognitives sont en pein développement ; ils constituent ce que l’on pourrait appeler « la psychologie à une seule tête », où l’accent est mis sur des processus cognitifs relativement simples qui se produisent à l’intérieur du cerveau d’un sujet. Au contraire, la psychologie sociale, qui étudie les interactions complexes entre les individus, bénéficie de supports financiers et d’un intérêt plus limités. Les parapsychologues modernes, comme leurs ancêtres du 19ème siècle, peuvent permettre d’équilibrer cette tendance en rappelant aux psychologues les dimensions les plus profondes de l’expérience humaine, souvent négligés, mais qui ne nécessitent pas moins d’être prises en compte en vue d’une compréhension globale de l’être humain. Plusieurs enquêtes montrent qu’un pourcentage élevé de personnes rapportent des expériences et des croyances au paranormal. Il ne s’agit pas là d’un domaine marginal de l’expérience humaine : il est, au contraire, central. Il incombe aux chercheurs d’étudier et de comprendre ces expériences et ces croyances, et la parapsychologie a un rôle essentiel à jouer dans cette perspective.

Peut-être est-ce en réaction à cette apparente tendance réductionniste qu’un nombre croissant de psychologues soutiennent actuellement que la psychologie est incomplète si elle n’inclut pas l’ensemble des expériences humaines, dont les expériences anormales font partie (e.g, Cardena, Lynn & Krippner, 2000). Au-delà de la question de la réalité du psi – j’en dirai plus à ce sujet un peu plus loin – il existe une grande variété d’expériences humaines exceptionnelles telles que les Expériences de Mort Imminente (E.M.I.) ou les « sorties hors du corps » (Out of Body Experience (OBE) en anglais) qui ont longtemps intéressé les parapsychologues. Ces expériences peuvent apporter une contribution importante à la psychologie.

Un exemple récent nous est donné par le chercheur anglais Craig Murray, présent lors de conférences de la PA et de la SPR. Murray travaille sur les liens entre les OBE et l’image du corps. Ses recherches dans ce domaine ont été publiées dans des revues de qualité comme le Journal of Nervous and Mental Disease (Murray & Fox, 2005) et le British Journal of Psychology (Murray & Fox, sous presse). Murray a trouvé que l’image du corps variait chez certains sujets selon qu’ils ont vécu ou non une OBE. Ceux qui avaient vécu ce type d’expérience avaient une vision plus négative de leur corps, prouvaient d’avantage d’anxiété dans leurs relations sociales et obtenaient de moins bons scores quand on leur faisait quantifier leur auto-représentation corporelle. Ces résultats suggèrent qu’il existe une composante sociale dans les OBE. C’est un apport important à la littérature psychologique sur les OBE, qui mettait auparavant l’accent sur les aspects de dissociation au niveau perceptif lors des OBE.

Une autre jeune chercheuse, Anneli Goulding, a récemment obtenu son doctorat à l’Université de Gothenburg. Sa thèse porte sur la santé mentale et les expériences paranormales et se concentre sur le concept de « schizotypie saine ». Le Dr Goulding a déjà publié, sur la base de son travail de thèse, deux articles dans le Journal of Personality and Individual Diffferences (Goulding, 2004 ; Goulding, 2005). Son travail est important car il conteste l’affirmation habituelle selon laquelle les expériences paranormales sont nécessairement de nature pathologique.

Un autre évènement important récent est la nomination d’Etzel Cardena à la nouvelle chaire de Parapsychologie de l’Université de Lund, en Suède. La création de ce poste est potentiellement prometteuse pour la parapsychologie. Elle permettra de montrer comment l’étude des expériences paranormales spontanées peut contribuer au développement de la psychologie et peut promouvoir l’image de la parapsychologie et de la psychologie des expériences anormales auprès des institutions influentes comme l’American Psychological Association. Je suis impressionnée que l’APA ait publié un livre sur La Variété des Expériences Anormales, coédité par Cardena (Cardena, Lynn & Krippner, 2000), et je pense que c’est une bonne nouvelle pour la parapsychologie. Le coéditeur de ce livre, Stanley Krippner, m’a indiqué qu’il était devenu un best-seller pour l’APA, qui l’a déjà été réédité à plusieurs reprises. L’ouvrage en question contient des chapitres sur les OBE, les NDE, les « enlèvements », les récits de vies antérieures et les expériences paranormales spontanées. C’est tout à fait stimulant de constater que de tels sujets sont portés à l’attention d’un large public.

Les critiques

Dans la seconde partie de cet exposé, j’aborderai les critiques. Les « critiques de salon », ceux qui ont une réaction épidermique dès lors qu’il est question du psi et qui critiquent publiquement la parapsychologie expérimentale sans avoir pris connaissance de la littérature existante, ne méritent pas notre attention. Les critiques dont je veux parler sont ceux qui contestent les preuves en faveur du psi – et cela signifie les critiques « internes » aussi bien que les critiques de chercheurs qui sont hors de notre domaine. Je pense qu’il y a parfois une tendance à diaboliser ces critiques et à les utiliser comme des boucs émissaires.

J’ai assisté en tant que parapsychologue à plusieurs congrès sceptiques et j’en tire le sentiment qu’en réalité les parapsychologues et leurs critiques ont de nombreux points communs. Ils essayent de déterminer s’il existe des preuves pour soutenir l’hypothèse de la réalité du psi.

C’est ce qu’ont découvert Ray Hyman et Charles Honorton à propos du Ganzfeld. Ils ont publié séparément des méta-analyses portant sur les expériences de Ganzfeld, et aboutissant à des conclusions opposées. Hyman a trouvé que plus de la moitié des recherches qu’il avait passé en revue avaient des résultats significatifs (Hyman, 1985), mais il affirme que des défauts méthodologiques et statistiques peuvent expliquer ces résultats. La méta-analyse d’Honorton a donné résultats similaires, mais Honorton soutient que ces résultats ne peuvent être dus aux biais décrits par Hyman. Honorton et Hyman auraient pu poursuivre ce désaccord à travers les articles qu’ils étaient en train de rédiger. Mais ils se sont rencontrés au congrès de la Parapsychological Association de Sonoma, en Californie, et ils ont abordé leurs divergences pendant le déjeuner (Hyman & Honorton, 1986) : « lors de la discussion nous avons réalisé que chacun d’entre nous n’avait pas entièrement et correctement compris la position de l’autre sur certains des points principaux qui nous divisaient ». (Hyman & Honorton, 1986, p. 351). Et ils ajoutent en conclusion : « les parapsychologues et leurs critiques partagent de nombreux objectifs communs. Ces similitudes sont rarement remarquées dans les débats qui se concentrent sur les différences. Malgré tout, de telles similitudes permettent aux parapsychologues et aux critiques d’unir leurs forces pour parvenir aux fins auxquelles ils aspirent » (Hyman & Honorton, 1986, p. 363).

La plupart des sceptiques souhaitent autant que les parapsychologues que les recherches sur le psi soient de qualité. Pratiquement aucun des articles présentés aux congrès sceptiques auxquels j’ai assisté n’a attaqué la parapsychologie. Ils critiquaient d’avantage un large éventail de pratiques pseudo-scientifiques. Par exemple ils s’en prenaient au fait que l’on enseigne dans les écoles le créationnisme et ils ont dénoncé les prétendus médecins à mains nues qui pratiquent en fait des tours de prestidigitation. Il existe de multiples pratiques à propos desquelles les parapsychologues seraient également très critiques. Peut-être est-ce une conséquence de la qualité scientifique de nos travaux, que la communauté sceptique accorde relativement peu d’attention à la parapsychologie.

Nous devons compter sur notre propre réservoir de chercheurs et de communicants pour réfuter de façon professionnelle les critiques formulées lors de forums scientifiques et de réunions populaires. Comme Bob Morris l’a déjà expliqué, nous pourrions être plus efficaces si nous présentions les résultats de nos recherches aux médias et à la communauté scientifique dans son ensemble (Morris, 2000). C’est un travail qui demande de la subtilité et de la finesse mais nous devons trouver les moyens de rendre nos résultats pertinents aux yeux du public et des journalistes scientifiques. Et nous devons apprendre à communiquer ces résultats de façon claire et attrayante.

Je me propose de franchir une étape supplémentaire en montrant que nous avons non seulement des objectifs similaires à ceux des sceptiques – trouver des explications aux faits « paranormaux » – mais que nous avons besoin des critiques. Où en serions nous si nous n’étions pas ouverts à une large variété de points de vue concernant le psi ? Où en serions nous si Ray Hyman et Charles Honorton n’avaient pas eu cette conversation lors d’un congrès de la PA ?

Ces considérations nous ramènent au thème principal de mon exposé – comment la parapsychologie peut-elle contribuer à la psychologie ? Une manière de contribuer à cet objectif est de perfectionner des méthodes de recherche qui, développées au début pour répondre à des difficultés propre au champ parapsychologique, se répandront ensuite dans le domaine de la psychologie générale.

Je donnerai des exemples concrets un peu plus loin. L’examen critique peut aider à améliorer nos méthodologies et c’est une des raisons pour lesquelles nous avons besoin des sceptiques. La discussion entre Charles Honorton et Ray Hyman a abouti à améliorer les procédures du Ganzfeld ainsi qu’à la publication, dans un grand journal de psychologie, d’un article essentiel concernant les preuves expérimentales en faveur du psi (Bem & Honorton, 1994). Si nous ne favorisons pas la diversité des points de vue, alors nos congrès et nos revues ressembleront d’avantage à des forums religieux qu’à des revues scientifiques. Si quelqu’un ne souhaite pas appartenir à l’église de la parapsychologie, c’est bien moi.

De nombreux parapsychologues sont d’accord avec ces considérations – Marilyn Schlitz, par exemple, a proposé des arguments similaires au cours son discours présidentiel lors du congrès de PA, de Fribourg, en 2000 (Schlitz, 2001). Et bien sûr, Bob Morris a toujours beaucoup insisté sur l’importance d’échanger avec les critiques, de comprendre la psychologie de la magie, de la supercherie, et de la fraude, et d’étudier ce qu’il appelait « ce qui n’est pas du psi mais qui y ressemble ». On doit repérer le pseudo psi afin de mieux dégager l’hypothèse du « psi authentique ». Morris a compris l’intérêt pratique et rhétorique de se faire « l’avocat du diable » et il commençait toujours ses exposés ainsi. De plus, ceux d’entre nous qui ont fait les frais des critiques de Morris lors de conférences, et de ses relectures d’articles, savent combien il était doué pour débusquer les faiblesses de nos recherches. Nous devons identifier ces faiblesses et les critiques avertis peuvent nous y aider.

Le psi

La parapsychologie implique l’étude d’expériences inhabituelles telles que les OBE. Ces expériences peuvent d’abord s’expliquer par des processus psychologiques classiques. Mais elles peuvent aussi relever de l’étude de ce qu’on pourrait appeler les « phénomènes centraux » de la parapsychologie – l’ESP, la PK, le DMILS – phénomènes suggérant l’existence de processus qui sont au-delà de ce que la science et la psychologie envisagent actuellement. Evidemment, c’est l’existence du psi qui est l’une des préoccupations centrales de nombreux parapsychologues et qui serait révolutionnaire dans ses implications pour la psychologie et plus largement la science en général. Si le psi existe réellement, cela signifie que les théories psychologiques actuelles sont loin d’être complètes. Il serait possible pour des individus d’influencer et d’interagir les uns avec les autres d’une manière que les psychologues ne reconnaissent pas actuellement. Et bien sûr, les ramifications et les conséquences de telles interactions dépasseraient de loin le cadre de la psychologie.

Malgré des articles convaincants en faveur de l’hypothèse de la réalité du psi – je pense par exemple aux méta-analyses que Bem et Honorton ont consacrées aux expériences de Ganzfeld – (Bem & Honorton, 1994), j’ai le sentiment que nous devons fournir des preuves qui persuadent la communauté scientifique au-delà des parapsychologues eux-mêmes. Si nous prenons le Ganzfeld comme exemple, il demeure tant de questions non résolues à ce jour. Le bruit blanc est-il meilleur qu’un autre type de bruit ? Le bruit des vagues ou des tambours est-il également efficace? La procédure Ganzfeld induit-elle réellement un état modifié de conscience – et si oui, de quel état s’agit-il ? Les sujets ont-ils besoin de porter des caches-yeux ou le fait d’avoir les paupières fermées a-t-il le même effet ? Est-ce qu’un exercice de relaxation préliminaire est nécessaire ? Pouvons-nous utiliser des cibles musicales ? Quelles sont les caractéristiques d’un Ganzfeld standard ? Quel est le rôle de l’émetteur dans le Ganzfeld ? Lorsque le sujet donne un rapport verbal simultané de ce qu’il « voit », cela interrompt-il l’état modifié de conscience dans lequel il se trouve plongé ? Et quelle différence y-a-t-il entre cette procédure, et celle qui consiste pour le sujet à rester silencieux et à se remémorer son expérience ensuite ? Si nous prenons tant de précautions pour immerger les sujets participant à un Ganzfeld dans un environnement sensoriellement homogène, pourquoi cela n’est-il pas nécessaire pour d’autres techniques de perceptions extra-sensorielles comme la vision à distance ? Nous avons ainsi énormément à apprendre sur les caractéristiques spécifiques du Ganzfeld qui induisent le psi et sur les raisons de cette induction.

Les parapsychologues doivent être d’avantage méthodiques dans leur manière d’aborder ces questions. La méta-analyse de Bem et Honorton (1994) a mis en évidence un modèle qui pourrait nous permettre d’accéder à des informations importantes sur les processus psi. Mais peu d’études récentes nous disent si les sujets étaient des novices, quels étaient leurs scores d’extraversion et de croyances au paranormal. Ces recherches pourraient aussi ne pas avoir mis en place l’ambiance chaleureuse propre aux expériences d’Honorton (Milton & Wiseman, 1999). Le suivi systématique est un pré-requis essentiel à la démonstration d’un effet reproductible. Le congrès de cette année compte environ trois articles sur le Ganzfeld pour un total de trente articles – seulement 10 %. Nous devons davantage nous concentrer sur les protocoles principaux et nous avons besoin d’être prudents lors de l’expérimentation de nouvelles variables. L’innovation n’est pas une mauvaise chose, bien sûr, mais elle doit se développer à partir de bases solides et je pense que nous avons besoin d’une compréhension plus sûre des facteurs qui pourraient faciliter le psi dans le Ganzfeld.

Nous devons trouver la « recette » qui permet de démontrer le psi dans nos expériences et nous ne pouvons pas le faire en passant d’une méthodologie à une autre – ce que nous avons tendance à faire, j’en ai peur. Par exemple, un article important de Ramakrishna Rao et John Palmer, publié en 1987, dans la revue Behavioural and Brain Sciences, présentait l’effet différentiel – la tendance des individus à réussir différemment à des tests ESP lorsque ceux-ci ont lieu dans des conditions différentes – comme l’une des trois approches principales de la recherche psi susceptibles de démontrer un effet reproductible (Rao & Palmer, 1987). Mais où sont les recherches portant sur l’effet différentiel aujourd’hui? A mon avis, les jeunes parapsychologues n’auront même pas entendu parler de cet effet.

Certes, les études exploratoires sont importantes. Mais il sera difficile de fournir des preuves reproductibles du psi sans avoir une compréhension claire des conditions dont nous avons besoin pour qu’il se produise et sans poursuivre nos voies de recherches les plus prometteuses. Il n’est pas nécessaire que je vous dise qu’en terme de chiffres nous représentons un domaine particulièrement minoritaire par rapport aux autres disciplines. Sybo Schouten a évalué que l’ensemble des ressources humaines et financières consacrées à la parapsychologie, depuis 1882, équivalaient aux ressources de moins de deux mois de recherche en psychologie aux Etats-Unis (Schouten, 1993). De plus, nombreux sont ceux qui, parmi nous, disposent de peu de ressources pour mener leurs recherches. Cela rend d’autant plus important le fait de concentrer nos ressources limitées sur des questions et des méthodologies- clé en parapsychologie.

Par ailleurs, certaines conséquences de l’existence du psi ne sont pas les bienvenues en science. Par exemple, les tentatives des expérimentateurs de se retirer entièrement du système qu’ils étudient semblent vouées à l’échec. En chimie et en physique, on ne prend pas en compte le fait que l’expérimentateur qui effectue les mesures puisse les affecter. La psychologie a recherché une respectabilité scientifique en suivant le même type de méthodes expérimentales que les sciences dures – en essayant de mesurer et d’observer les échantillons étudiés. Mais les psychologues ont découvert qu’il n’est pas si simple de le faire quand leurs « échantillons » sont des êtres humains. Même sans les difficultés soulevées par le psi, les différents éléments d’un même système expérimental peuvent déjà se chevaucher jusqu’à un certain point dans les études psychologiques, comme l’ont démontré les travaux de Rosenthal sur l’effet expérimentateur (Rosenthal, 1976) et l’effet Pygmalion. Les sujets des recherches de psychologie sont des êtres pensants. Ils pensent au rôle qu’ils jouent, à ce que l’expérimentateur attend d’eux et répondent consciemment ou inconsciemment aux signaux de l’expérimentateur et vice-versa.

C’est un domaine où la parapsychologie peut ouvrir de nouvelles voies à la psychologie. La parapsychologie permet d’étendre nos connaissances des systèmes complexes impliquant des variables qui se chevauchent. Nous pouvons développer des stratégies pour aborder une telle complexité. Nous n’avons pas seulement affaire à des sujets humains, nous prenons aussi au sérieux la possibilité de l’existence du psi, ce qui conduit à briser les barrières entre les personnes impliquées dans le processus de recherche. Nous sommes aux prises avec le problème de l’effet expérimentateur et nous savons qu’un grand nombre de facteurs différents peuvent jouer un rôle dans les effets d’expérimentateur, et notamment un effet de nature psi. Nous pouvons suggérer des manières de diminuer l’influence de l’expérimentateur dans nos recherches, en demandant par exemple à une personne non impliquée dans la recherche d’effectuer la randomisation de la cible ou en laissant le sujet de l’expérience lancer le logiciel pour démarrer un essai (Stanford, 1981).

Nous pouvons aussi montrer la voie en prenant en compte l’expérimentateur – comme cela a déjà été fait dans une certaine mesure. Il n’est pas inhabituel dans la partie méthodologique des études parapsychologiques d’inclure une description des expérimentateurs – par exemple, leur âge, leur sexe et leurs croyances au psi. Cela pourrait à l’avenir être étendu à d’autres paramètres concernant la personnalité des expérimentateurs ou à n’importe quels autres facteurs interagissant de manière importante avec le système expérimental. C’est de ce type de pratique que la psychologie, dans son ensemble, pourrait tirer bénéfice dans le futur.

Cependant, nous ne devrions pas laisser notre « envie de faire science » (Watt, 1996) nous aveugler sur la possibilité que les méthodes classiques pourraient ne pas être les mieux adaptées pour les recherches psi. Ce serait la moindre des choses que les méthodes classiques soient complétées par des techniques reconnaissant le rôle de l’expérimentateur et la nature réflexive de la recherche, en particulier avec des sujets humains. Par exemple, Rhea White (White, 1997a, 1997b), Marilyn Schlitz (Locke & Schlitz, 1983 ; Schlitz, 1987) et William Braud (Braud & Anderson, 1998) reconnaissent les limites de l’utilisation de la méthode expérimentale traditionnelle dans l’étude du psi et des expériences exceptionnelles. Certaines de ces techniques complémentaires, comme l’étude de la narration et du discours, les approches trans-personnelles et ethnographiques, pourraient être des moyens de développer une compréhension plus profonde des phénomènes et des expériences abordés par les parapsychologues. Ils pourraient ainsi avoir dans l’avenir le rôle de rappeler aux psychologues les limites de leurs méthodes de recherche et de suggérer des stratégies aidant à surmonter ces limites. Ces méthodes ne sont pas inconnues de la psychologie, bien sûr, mais la parapsychologie pourrait fournir des exemples féconds et instructifs pour la psychologie. Les difficultés rencontrées par la parapsychologie ressemblent, dans une certaine mesure, à ceux de la psychologie, mais elles sont plus profondes et demandent donc des solutions méthodologiques plus subtiles.

Les avancées méthodologiques

Les pères fondateurs de la recherche psychique ont eu une influence sur le développement de concepts en psychologie. Mais l’apport de la parapsychologie va au-delà. De nombreux exemples nous montrent comment l’objet propre de la parapsychologie – les interactions ou les échanges d’information « anormaux » – a rendu nécessaires puis a provoqué des avancées méthodologiques. Ces progrès méthodologiques se sont ensuite répandus de la périphérie vers le centre. C’est cet aspect que je souhaite à présent aborder.

Bien que les recherche en aveugle aient d’abord été utilisées pour tester les faits rapportés par les adeptes des théories de Mesmer, à la fin du 18ème siècle (Kaptchuk, 1998), leur utilisation ne s’est pas répandue à l’ensemble de la science académique de cette époque. Des historiens tels que Ian Hacking et Ted Kaptchuk affirment qu’en réalité, les origines de la méthodologie en aveugle en psychologie remontent aux recherches psychiques (Hacking, 1998 ; Kaptchuk, 1998). Dès 1884, Charles Richet menait des expériences de divination avec des cartes. Il utilisait un écran pour séparer le sujet (qui essayait de deviner la carte regardée) d’une autre personne qui essayait de la lui communiquer télépathiquement.

Bien que l’on attribue généralement à Charles Peirce et à Joseph Jastrow l’introduction des méthodes en aveugle en psychologie, dans leurs expériences pionnières de psychophysique, il existe en fait un lien plus précoce avec la recherche psychique. En tant que membres fondateurs de l’American Society for Psychical Research, Peirce et Jastrow étaient au courant de l’utilisation des méthodes en aveugle de Charles Richet pour la divination de cartes, ce qui précède leur propre utilisation des méthodes en aveugle de quelques années. Ainsi, on a pu montrer que l’introduction des méthodes en aveugle en psychologie remonte aux efforts dépensés pour tester les phénomènes de transmission de pensée et a abouti aux méthodes de quantification exacte mises au point par la psychophysique. (Hacking, 1988 ; Kaptchuk, 1998).

En outre, les parapsychologues ont toujours été confrontés à un problème particulier : il n’y a, jusqu’à présent, aucun processus physique connu capable d’expliquer de telles capacités. Ce serait exagéré de dire qu’il n’existe pas de théories – il y a beaucoup de théories du psi (cf. Stokes, 1987). Cependant, aucune théorie n’a été largement admise par les parapsychologues et beaucoup mènent leurs recherches sans référence explicite à un quelconque cadre théorique. Ce contexte théorique, plutôt pauvre, a forcé dès le début les parapsychologues à aborder ces questions selon une approche principalement empirique, par exemple : une personne peut-elle deviner correctement ce que représente une carte cachée, plus souvent que ne le voudrait le simple effet du hasard ?

Des historiens ont affirmé que l’utilisation de la randomisation au niveau expérimental remonte aux premières expériences de divination avec des cartes mises au point par la SPR (Hacking, 1988 ; Kaptchuk, 1998). Richet suggéra que si les aptitudes psychiques étaient faiblement présentes chez tout le monde, alors des personnes testées sur de longues séries de cartes, tirées aléatoirement, obtiendraient un plus grand nombre de réussites que le hasard ne le permet, révélant ainsi des capacités psi. La modélisation des probabilités était utilisée en psychophysique à cette époque mais pas à des fins d’inférences de tirage. Le travail de Richet était la première application de la randomisation.

Mais il a fallu attendre les années trente, avec le travail de Fisher, pour que la randomisation et l’inférence statistique soient adoptées par les psychologues dans leur ensemble. On apprend habituellement aux étudiants de psychologie que Fisher a développé sa méthode de randomisation et d’inférence statistique à partir de son travail sur les essais dans des champs agricoles. Cependant, une décennie avant sa remarquable publication sur la conception de ces expériences, Fisher a publié des méthodes pour aborder le problème de l’inférence statistique dans la divination de cartes (Fisher, 1924). Fisher était parfaitement au courant des questions qui intéressaient les parapsychologues et aida à développer des méthodes pour aborder ces questions. Il est clair que l’émergence de la randomisation et de l’inférence statistique ont été en partie stimulées par les défis que devaient relever les parapsychologues.

Mes exemples, jusqu’ici, proviennent des premiers jours de la psychologie et de la recherche psychique. Cependant, le fait que les parapsychologues semblent avoir affaire à un effet difficile à reproduire a également stimulé certaines avancées méthodologiques plus récentes. Je pense qu’il est juste de dire que les parapsychologues étaient en avance par rapport aux psychologues lorsqu’ils ont commencé à utiliser les méta-analyses pour évaluer les résultats d’un ensemble d’études. En essayant d’évaluer la reproductibilité de leurs résultats, les parapsychologues se sont vite rendu compte des limites de la valeur p et ils ont compris l’utilité d’indicateurs de taille d’effet uniformes pour comparer statistiquement plusieurs recherches. Dès 1986, Robert Rosenthal, dans ses commentaires sur le débat autour du Ganzfeld, a souligné que la parapsychologie a rendu service à la science en général en soulevant des questions importantes sur la méta-analyse et la nature de la reproductibilité (Rosenthal, 1986).

La méta-analyse n’est pas la panacée et la parapsychologie fournit un excellent entraînement aux méta-analyses. Le fait que différents analystes, travaillant sur le même corps d’études, peuvent aboutir à des conclusions opposées suggère des améliorations à apporter aux méta-analyses, l’utilisation, par exemple, de plusieurs codeurs indépendants et aveugles (Steinkamp, 1998). Aussi, il est clair que dans un domaine restreint comme la parapsychologie, il est impossible de rendre les critères de codage de la méta-analyse indépendants des résultats des études.

Si nous poursuivons notre manière de faire actuelle, nous n’en finirons pas avec les discussions interminables sur les résultats des méta-analyses en parapsychologie. Les critères d’inclusion et de codage doivent être définis avant de réaliser les études (Akers, 1985 ; Kennedy, 2004 ; Milton 1999) plutôt qu’après coup, comme c’est le cas actuellement. La proposition de défi aux pro-psi et aux sceptiques de Jim Kennedy, publiée dans le dernier Journal of Parapsychology, met en exergue ce problème et suggère une solution (Kennedy, 2004). En s’inspirant de ses expériences dans le domaine pharmaceutique, Kennedy recommande que les études proposées soient reconnues et planifiées à l’avance. Un comité de parapsychologues expérimentés, de sceptiques modérés et un statisticien pourraient examiner et commenter les protocoles proposés afin que les questions méthodologiques soient traitées avant que les données ne soient collectées. Les études exploratoires continueraient, bien entendu, mais seraient définies comme telles avant que les résultats ne soient connus et seraient exclues à l’avance les méta-analyses orientées vers la preuve du psi.

Bien que la proposition de Kennedy soit la plus récente de ce type, ce n’est pas la première. Dans le « communiqué commun » sur les recherches autour du Ganzfeld, que Ray Hyman et Charles Honorton ont publié, il y a presque 20 ans déjà (Hyman & Honorton, 1986), ils déclaraient : « de nombreux problèmes que nous avons rencontrés dans l’évaluation des expériences de Ganzfeld pourraient être évités dans les futures expériences si les personnes chargées de l’évaluation pouvaient être sûres qu’elles prennent en compte le corpus complet des études concernées et si elles pouvaient s’assurer de la validité interne de ces études. Dans l’idéal, le meilleur moyen d’y parvenir serait de mettre en place des séries de reproductions d’expérience systématiques sous les auspices d’un organisme neutre comme la National Science Foundation ». (Hyman & Honorton, 1986, p. 363). Les auteurs continuent en faisant l’ébauche d’un système impliquant les parapsychologues et les critiques bien informés, exactement comme l’a suggéré Kennedy.

Des problèmes similaires sont susceptibles d’être rencontrés en psychologie dès lors qu’il est question d’effets faibles, douteux ou controversés. Les problèmes de reproductibilité auxquels les parapsychologues font face et les stratégies que nous avons développées pour les surmonter pourraient aussi aider la psychologie traditionnelle.

La parapsychologie a aussi beaucoup à offrir à la psychologie dans l’étude de la fraude et de l’illusion, comme le pense Irwin Child (1984). Bob Morris a compris qu’il était important d’améliorer nos connaissances dans ce domaine. Il lui arrivait assez souvent pendant ses exposés de se focaliser si longtemps sur « ce qui n’est pas du psi mais y ressemble » qu’il n’avait plus le temps d’en venir au « psi véritable ». Certaines personnes pensent que si Morris a pu installer la parapsychologie dans les universités britanniques, c’est, pour une part, parce qu’il avait une conscience très claire des biais et des pièges en recherche comportementale aussi bien qu’en parapsychologie (Alvarado, 2003b).

Depuis mon point de vue sur la « ligne de front », je constate que les universitaires britanniques passent la majeure partie de leur temps à obtenir le crédit du Research Assessment Exercice (RAE). Il s’agit d’un système qui juge de la qualité des recherches menées par une équipe universitaire, principalement basé sur le statut international des revues dans lesquels elle publie. Plus la note est élevée, plus le département est financé par le gouvernement. Chaque membre du personnel est évalué sur ses quatre « meilleures » publications. Ainsi, le rôle joué par les chercheurs de l’Université Koestler dans le dernier RAE, qui date de 2001, nous fournit un indicateur de l’apport de la parapsychologie à l’université. 20 membres du département de psychologie ont été « reçus » dans le RAE en 2001. Quatre d’entre eux – c’est-à-dire 20 % de la totalité des psychologues – étaient des parapsychologues – moi-même, Fiona Steinkamp, Paul Stevens et Bob Morris. La note RAE que notre département a obtenue a considérablement augmentée, de 3 à 5 (5 est la meilleure note). Je crois que c’était l’une des plus belles réussites de Bob Morris en tant que Professeur à l’Université Koestler – cela a démontré la véritable intégration de la parapsychologie à la vie académique de l’université et ce fut une contribution vraiment positive à la position nationale et internationale du département. Beaucoup de nos publications RAE portaient sur la recherche psi et sont parues dans des revues spécialisées comme le Journal of Parapsychology. Si nous ne nous soumettons pas à cette évaluation, qui, comme le RAE, fait partie des procédures bureaucratiques de l’université, évaluation dont certains se réjouissent mais que d’autres subissent, nous ne pouvons pas attendre de l’ensemble des scientifiques qu’ils consultent nos recherches dans les revues de parapsychologie spécialisées. Nous ne devons donc pas nous plaindre si nous avons le sentiment que nos recherches sont ignorées. Nous devons continuer à alimenter nos revues en rapports de recherche techniques, mais nous devrons aussi nous efforcer de présenter notre travail dans des publications plus traditionnelles. Il y a plusieurs exemples, particulièrement des approches méta-analytiques du psi qui ont pu à être publiées dans certains des meilleures revues de psychologie (Bem & Honorton, 1994 : Bösch, Steinkamp & Boller, admis pour publication ; Milton & Wiseman, 1999 ; Schmidt, Schneider, Utts & Walach, 2004).

En publiant nos travaux dans des revues scientifiques de haut niveau, nous accréditerons la parapsychologie dans le monde académique, et en portant ainsi nos recherches à la connaissance de la science officielle, nous montrerons à un large public leur qualité méthodologique et leur pertinence. Si nous pouvons nous battre dans la cour des « grands », nous serons remarqués et pris au sérieux.

Les parapsychologues peuvent être fiers de la qualité méthodologique de leur recherche. Nous sommes conscients qu’il nous faut apporter des preuves convaincantes pour soutenir les affirmations extraordinaires que nous faisons, et nous faisons de notre mieux pour contrôler les artefacts de nos recherches. Moi qui me trouve sur la « ligne de front », je sais que c’est une démarche très appréciée par mes pairs psychologues. Je crois que la qualité de la méthodologie des parapsychologues est aussi bonne, et souvent meilleure, que celle des psychologues. Les étudiants en psychologie qui suivent les cours de parapsychologie à Edimbourg m’ont souvent fait remarquer qu’ils ont appris énormément sur la méthodologie scientifique dans ces cours.

Conclusions

Pour résumer, j’ai soutenu dans cet exposé que la parapsychologie a contribué dans le passé à la psychologie, qu’elle continue et qu’elle continuera de la faire. Moi qui suis engagée sur « ligne de front », je me sens respectée par mes collègues psychologues et fière des précédents succès de la parapsychologie et de ses développements futurs.

Dans le passé, nos précurseurs ont aidé la psychologie à aborder certains concepts difficiles, tels que l’inconscient. Nous avons vu comment les développements statistiques de randomisation et l’utilisation de tests de probabilité ont été améliorés par les défis auxquels étaient confrontés les premiers parapsychologues. Les méthodes en aveugle sont nées des efforts que l’on a dépensés pour éliminer les artefacts et les fuites sensorielles potentielles ; elles ont eu pour point de départ les réponses que l’on a données à ces défis.

Aujourd’hui, nous étudions des sujets intéressants pour les psychologues comme les expériences « anormales », l’effet expérimentateur et la psychologie de la fraude et de l’illusion. La littérature parapsychologique expérimentale fournit aussi un bon entraînement aux outils statistiques comme la méta-analyse et peut susciter l’amélioration de tels outils. Le psi lui-même a un impact évident sur la psychologie, et même au-delà, mais nous ne devons pas nous attendre à ce que d’autres universitaires partagent notre intérêt pour cet objet de recherche tant que nous ne pourrons pas leur démontrer, de façon convaincante, que nous nous avons obtenu un effet reproductible à volonté. Pour ce faire, nous devons être plus systématiques dans notre approche et ne pas passer d’une méthodologie à une autre.

Dans le futur, j’espère que nous serons plus visibles au sein des courants de pensée dominants. Mais nous n’y parviendrons pas avec une organisation qui reste sur la défensive. Nous devons au contraire être conscients des forces et des atouts de notre discipline. Nous pouvons souligner les nombreuses contributions que la parapsychologie a apportées historiquement, qu’elle apporte actuellement et qu’elle peut apporter dans le futur. En publiant dans de grandes revues, nous pouvons démontrer à nos pairs les plus sceptiques la qualité de notre méthodologie et l’importance pratique et théorique de notre thème de recherche.

Nous avons la chance que notre domaine inspire et attire de jeunes chercheurs. Nous devons faire de notre mieux pour les soutenir et les encourager d’une manière responsable. Nous sommes une communauté restreinte s’attaquant à une lourde tâche. C’est en étant rigoureux et systématiques dans nos efforts professionnels, dans nos échanges avec les médias et les autres scientifiques, que nous enregistrerons des progrès.


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