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Arthur Schopenhauer

Arthur Schopenhauer

Si certains philosophes du XIX° siècle ont intégré le magnétisme animal dans leurs vues, c’est sans doute Arthur Schopenhauer qui lui a donné la portée la plus grandiose.


Les phénomènes du somnambulisme ne sont pas pas pour lui un appendice, une curiosité, ils occupent, dans sa doctrine, une place centrale, qui découle de sa structure même. Puisque le monde peut se penser comme volonté et comme représentation, il faut bien qu’il existe un « pont » entre ces deux niveaux de la réalité, qui ne soit pas simplement une pièce abstraite dans un assemblage de concepts, mais qui soit aussi et d’abord donné dans l’expérience. C’est le rôle que joue pour lui la transe magnétique.

Assimilée à une sorte d’échangeur qui ferait communiquer la vie et la représentation, elle est mixte, et fonctionne dans les deux sens, apportant sous l’éclairage de la concience conceptuelle la connaissance immédiate que la vie a d’elle-même. La lucidité magnétique correspond pour Schopenhauer à un registre d’expérience dans lequel le Monde est perçu en même temps comme volonté et comme représentation, et elle peut se décrire de ces deux manières complémentaires. Tantôt le philosophe la décrit comme un mode d’expérience caractérisé par la descente de la connaissance dans les cryptes de la vie ; et tantôt il la caractérise au contraire comme l’irruption de l’immédiateté de la vie dans le registre de la représentation.

« L’activité aveugle de la volonté et celle qui est éclairée par la connaissance empiètent d’une façon frappante sur le domaine l’une de l’ autre (…); c’est la lumière de la connaissance qui pénètre dans le laboratoire de la volonté aveugle et éclaire les fonctions végétatives de l’organisme humain ». (Le Monde comme Volonté et comme représentation, PUF, 1978, p. 200.)
La transe somnambulique nous fait ainsi pénétrer dans les coulisses de l’univers, « dans le jeu secret sous la table » (La Volonté dans la nature, PUF., 1869, p. 166) car elle dissout les barrières de l’individuation en nous faisant accéder au nexus métaphysicum, qui relie secrètement les êtres séparés.

Aussi la découverte du somnambulisme, et surtout de la lucidité magnétique, est-elle pour le philosophe, « de toutes les découvertes, celle qui a la plus grande portée, bien qu’il pose parfois plus d’énigmes qu’il n’en résout »; les phénomènes de la lucidité ayant une dimension empirique, et en même temps une haute portée métaphysique, puisqu’ils émanent de la Volonté, leur étude débouche sur la possibilité d’une  » métaphysique pratique ». (Essai sur les apparitions et opuscules divers, p.94.) Dans La Volonté dans la nature, Schopenhauer revient avec insistance sur cette idée d’une métaphysique expérimentale, que l’on va retrouver chez Bergson, et qui va nourrir le projet des sciences psychiques.

Dans Présences de Schopenhauer (Grasset, 1989, pp. 10 sq), Roger-Pol Droit interroge les raisons du discrédit dans lequel était tombé l’auteur du Monde. Il attribue ce désamour à son style, trop clair au gôut des philosophes, et au fait qu’il n’a pas craint de polémiquer contre la philosophie universitaire, et notamment contre Hegel. Ce sont là, assurément, des raisons qui ont compté. Mais je crois que sa passion coupable pour le magnétisme animal y est aussi pour quelque chose. Comment conserver dans le Panthéon un auteur qui n’a pas craint de voir dans la lucidité magnétique une des découvertes les importantes de tous les temps? Nous sommes ici en quelque sorte devant la « malédiction de Puységur », variante philosophique de la malédiction de Tout Ankh Amon : la plupart de ceux qui, au XIX° siècle, et dans les premières décennies du XIX°, sont descendus dans la crypte où ils ont entrevu certains secrets de la vie, ont eu par la suite, et surtout depuis la Deuxième guerre mondiale, à subir ce discrédit.

Cet article est un extrait du livre de Bertrand Meheust : « 100 mots pour comprendre la voyance« .