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Livre : A World in a Grain of Sand : the Clairvoyance of Stefan Ossowiecki

Livre : A World in a Grain of Sand : the Clairvoyance of Stefan Ossowiecki

Revue du livre  » A World in a Grain of Sand » par Bertrand Meheust.

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Une des raisons pour lesquelles les phénomènes paranormaux sont encore rejetés de nos jours, malgré la vaste documentation qui plaide en faveur de leur réalité, est qu’il n’existe pas une bibliothèque de référence réactualisée. La plupart des études sur les grands médiums sont désormais anciennes ; elles ont été écrites dans un style d’un autre temps, avec des préoccupations qui ne sont plus les nôtres. Notre regard historique n’est plus celui de 1925. Nous avons appris beaucoup de choses depuis. Il faudrait donc revisiter ces études, et en entreprendre de nouvelles, avec nos exigences. C’est la raison pour laquelle nous devons nous attaquer à la constitution d’une « bibliothèque dure » à laquelle nous pourrons renvoyer tous ceux qui objectent encore qu’aucun élément probant ne permet d’affirmer la réalité des phénomènes paranormaux. Dans cette perspective, le livre publié en 2005 par Mary Rose Barrington, Ian Stevenson et Sofia Weaver est un modèle du genre, l’exemple des travaux qui devraient se multiplier, et la démonstration que l’on peut toujours revenir sur les anciens dossiers pour les compléter et les approfondir. Nous connaissions Ossowiecki, pour l’essentiel, à travers les séances qu’il a données en France, ou à Varsovie pour le docteur Geley, mais une partie de la documentation qui le concerne restait à exhumer. C’est ce travail qu’ont effectué les trois auteurs du livre. Ils ont retrouvé des récits de séances qui nous ignorions, contrôlées ou improvisées, ils ont reconstitué la biographie du clairvoyant, et analysé ses démonstrations. Malgré la perte d’une partie des documents, détruits pendant l’insurrection de Varsovie en 1944, on voit se dégager le portrait impressionnant d’un des plus grands clairvoyants du XX° siècle.

Le dossier est scruté dans toutes ces dimensions. Ossowiecki est replacé dans son temps, dans le contexte culturel et social de la Pologne d’avant guerre. Les séances formelles qu’il a conduites avec les chercheurs français, anglais et polonais sont examinées, mais aussi les expériences informelles qu’il n’a cessé de donner et qui ont frappé ses proches.
Enfin, et cela n’est pas moins intéressant que l’établissement des faits, une attention particulière est portée à l’examen des processus psychiques qui se déroulent chez Ossowiecki quand il entreprend de se porter sur une « cible » qu’on lui désigne.

Le premier intérêt de ce livre est d’ apporter un ensemble de précisions biographiques qui demeuraient ignorées des chercheurs. Polonaise de naissance, Sofia Weaver s’est chargée de ce travail et a enquêté sur la vie du voyant. Stefan Ossowiecki est né en 1877 à Moscou dans une famille aisée. Son père était chimiste – il avait même été dans sa jeunesse l’assistant de Mendéléiev – et il possédait en Russie une usine de produits chimiques. Sa mère appartenait à l’aristocratie de l’Est de la Pologne. Son chemin était tout tracé. Il suivit des études d’ingénieur pour reprendre l’usine de son père. Initiation aux langues étrangères ( il parlait couramment le russe, l’anglais, le français), études poussées, nous sommes aux antipodes du voyant ou du médium sorti du peuple, qui s’accroche à son don parce qu’il représente aussi pour lui une promesse de promotion sociale. En revanche, pour ce qui concerne la genèse de ses capacités psychiques, le schéma est plus classique. Sa mère et sa grand-mère étaient censées avoir des dons de voyance et s’adonner à l’écriture automatique, et le jeune Stefan aurait commencé à montrer des aptitudes analogues dès l’âge de 14 ans. À 17 ans, après ses études secondaires, il suit des études au prestigieux Institut de technologie de Saint Petersburg. Lors de l’ examen final, comme il doit tirer au sort des sujets, il répond aux questions sans avoir ouvert les enveloppes où ils sont placés, à la surprise de ses examinateurs. Il n’est évidemment pas possible de vérifier ce genre d’anecdote, mais elle contribue évidemment à la légende du personnage. L’ensemble des témoignages permet de dégager le portrait d’un homme sincère, assez infatué de ses dons, et fier de les prouver. Ossowiecki aimait la vie, la bonne table, le bon vin, la conversation, la compagnie des femmes ; c’était un homme éminemment sociable. Il semblait d’autre part trop persuadé de ses capacités psychiques pour songer à les contrefaire, et il a toujours exprimé le désir de collaborer avec les enquêteurs pour améliorer les protocoles. Jamais il n’a été pris à essayer de tricher, ni même suspecté d’avoir essayé de le faire. Comme Alexis Didier au siècle précédent, il se faisait une haute idée de sa mission, et il était persuadé qu’il devait démontrer ses dons pour aider au développement spirituel de l’humanité. Il se situait sur ce point dans la tradition des anciens magnétiseurs : sa situation matérielle le mettant à l’abri du besoin, il était pour lui hors de question qu’il tire de son don un profit matériel. (p. 12)

Le destin d’Ossowiecki prend une dimension tragique parce qu’il est lié au malheur polonais de la Deuxième guerre mondiale. Pendant l’occupation allemande, alors qu’il aurait pu quitter Varsovie à temps, il reste dans la capitale, semble-t-il pour répondre à la demande pressante de familles anxieuses en quête de disparus. C’est du moins ce que prétend la légende. Sa réputation est telle que des personnes venues de toute la Pologne font la queue pendant des heures pour le consulter. Les consultants veulent retrouver des proches, savoir s’ils sont vivants ou morts, et parfois retrouver leurs corps pour leur donner une sépulture. Il va payer de sa vie sa décision de rester à Varsovie. En août 1944, il disparaît pendant l’insurrection, probablement fusillé et brûlé par les SS, comme tous les habitants de son quartier. Son corps ne sera jamais retrouvé.

Après avoir examiné et rejeté l’hypothèse du trucage volontaire et même de la conspiration à grande échelle, Mary Rose Barrington passe en revue les difficultés méthodologiques que soulève l’approche d’un clairvoyant de cette dimension. Ainsi, des biais inconscients auraient pu guider les expérimentateurs ? À la différence de l’hypothèse précédente, cette objection est sérieuse. Le problème est que le clairvoyant polonais à été testé par des chercheurs de culture et d’opinions différentes, et que pourtant leurs rapports montrent toujours des processus et de résultats analogues. Ainsi, Geley croyait à la survie et aux esprits, et les phénomènes produits pendant les expériences qu’il a conduites avec Ossowiecki ne portent nullement la marque de ses convictions. (p. 126). Quant à la méthode qu’il convient de suivre pour jauger la réalité des rapports, c’est celle de l’historien. Il faut s’y tenir, et ne pas se laisser impressionner par le qu’en dira-t-on académique et les enjeux externes. La posture hyper sceptique qui est de rigueur quand il s’agit du psi relève d’explications sociologiques et psychologiques profondes mais elle est en contradiction avec la méthode de la science. Il y a un bon réglage du scepticisme, une bonne distance des objets, et l’on manque autant la science en tombant dans l’hyper scepticisme qu’en se complaisant dans la naïveté.

Un des aspects les plus intéressants de ce livre est l’étude des processus de la clairvoyance observables chez Ossoviecki. Pour avoir effectué un travail analogue à propos d’Alexis Didier, j’ai été particulièrement intéressé par ces analyses. Les processus sont les mêmes, parfois au détail près, au point que, très souvent les rapports des deux voyants sont interchangeables. On n’en finirait pas de dresser la liste des analogies. Même façon de camper un décor général, ou un thème global, avant de progresser vers la cible, par bonds successifs.(p. 37) Même besoin de pétrir l’objet-lien, d’avoir un contact physique avec lui, en le posant sur sa nuque, sur son estomac. Même recours, parfois, à des aiguilles, pour désigner une lettre « vue » clairement dans une enveloppe scellée.(p. 89) Même façon de capter le thématisme d’une cible sans voir la chose, ou bien au contraire, dans d’autres cas, de voir la cible comme un amnésique pourrait le faire, sans capter son sens . Même développement de la clairvoyance dans le sens présent-passé. Même façon, quand on présente au voyant un objet- lien, de commencer par remonter dans le passé vers les conditions de sa fabrication, et vers son environnement matériel et humain, comme si la métagnomie avait des « fuites » et pouvait difficilement être confinée et contrôlée.

On pourrait écrire un chapitre entier sur ces analogies. Je me contenterai d’un exemple. En juin 1924 le docteur Geley, soucieux d’en savoir toujours plus sur le modus operandi de la clairvoyance, prépare une sorte de « piège diabolique ». Il écrit un court texte à l’encre sympathique, le glisse dans une enveloppe après l’avoir entouré de dix bandes de papier de couleur et de forme différentes, disposées de manière irrégulière. L’expérience a lieu le 22 juin, à Varsovie, au domicile du voyant. Ce dernier s’ empare de l’enveloppe, la palpe, et, comme on pèle un oignon, commence par détailler le nombre exact des feuilles de papier qui recouvrent la lettre, précise leur forme et leur couleur. Mais il a le sentiment qu’une barrière l’empêche d’aller plus loin, et risque cette remarque sibylline : « on pourrait dire qu’il n’y a rien à voir ». Du coup, il prend du champ, et regarde la pièce où le message a été fabriqué. Un monsieur chevelu et moustachu s’y trouve, en train de discuter avec l’expérimentateur, et cela se passe entre 5 et 7 heures du matin – autant de détails qui vont s’avérer exacts. Geley, qui a un rendez-vous, doit interrompre l’expérience. Deux jours plus tard, pendant un dîner, Ossowiecki demande à Geley le terme que l’ on emploie en français pour désigner une encre qui devient invisible ; car, poursuit-il, il a l’ impression que la lettre contient un texte qui a été écrit avec une encre de ce genre. Lorsqu’on lui donne l’expression française, il se met à crier : « Encre sympathique ! c’est cela ! Cette phrase a été écrite à l’encre sympathique ! » Bien joué, lui répond Geley, il ne vous reste plus qu’à trouver le texte. La phase suivante se déroule quelques jours plus tard, le 6 juillet. Ossowiecki s’empare de l’enveloppe, la palpe, et commence par décrire l’aspect physique du texte-cible. Il ne s’agit pas d’un dessin mais d’un texte. Ce texte fait deux ou trois lignes. Il se termine par un point d’exclamation. Il s’agit d’une sentence grave, qui concerne l’humanité. A ce moment là, la vision déborde sur l’homme qui a fourni l’encre sympathique, comme si elle ne pouvait être confinée. Cet homme est plus jeune qu’il ne le paraît. Ossowiecki place alors place l’enveloppe sur son front. L’image de la cible ne sort pas du brouillard mais les entours se précisent. Ossowiecki voit Geley en train d’écrire et de ponctuer la phrase par un point d’exclamation, il décrit aussi le livre d’où est tiré le texte, sa taille, sa largeur. Puis il revient à ce texte qui lui résiste. Il sent le thème général. Cela concerne l’idée de Dieu, l’idée de création. Puis, à la demande de Geley, il se concentre sur le nom de l’auteur. Ce dernier est mort. Son nom fait six lettres – non, sept lettres, et commence par un R. Appelé par des obligations, Geley doit alors interrompre la séance, qui reprend le lendemain 7 juillet. Au bout d’une heure d’effort, Ossowiecki ne parvient pas à lire le texte. Alors Geley s’isole dans une pièce voisine, et écrit sur une nouvelle feuille de papier la phrase recherchée : « Il ne s’agit pas de déisme, ni d’athéisme, de spiritualisme ou de matérialisme, c’est une question de fait. Pasteur ». Puis il plie le papier, le place dans une enveloppe qu’il scelle, et revient vers le voyant. Cer dernier saisit l’enveloppe dans sa main gauche et la place derrière son dos. Elle va y rester pendant tout le reste de l’expérience. Immédiatement, il repère le mot « athéisme ». Puis le mot « déisme », qu’il avait pris à tort pour le mot « Dieu ». Et la phrase sort, lentement, mot par mot, sans pratiquement aucune distorsion.

Dans cette série de séances on voit le processus métagnomique se déployer en plusieurs phases, comme si des paliers de maturation étaient nécessaires pour que l’information enfouie finisse par remonter à la surface. Pas moins de qutre moments sont repérables :1) le 22 juin 1924, le voyant « pèle » la cible et bute sur l’obstacle de la lettre invisible. 2) Deux jours plus tard, il parvient à l’idée de l’ encre invisible ; 3) le 6 juillet, il remonte à la fabrication de la cible, décrit la personne qui discutait avec Geley, et capte le thématisme général ( une sentence à contenu moral, tirée d’un livre, où il est question de Dieu), ainsi que son aspect physique global ( deux à trois lignes ponctuées d’un point d’exclamation, et une signature d’un nom de sept lettres).
4) Le 7 juillet, il tombe d’abord en panne. Puis, dans la deuxième phase de la séance, il lit correctement la citation de Pasteur, que Geley a réécrite avec de l’encre normale, et placée dans une enveloppe. Or ce sont là des processus dont on trouve l’exact équivalent dans le corpus d’Alexis Didier. Un des hauts faits du somnambule parisien – la découverte de l’officier français recherché par le colonel Gurwood – épouse très précisément cette logique. C’est en effet en passant par une série de paliers qu’Alexis finit par accoucher du nom du soldat français, et le dernier épisode se passe à Londres quand le jeune voyant, au terme d’un effort ultime, parvient à donner, lettre par lettre, le nom du soldat (Bonfilh) placé dans une lettre scellée.( Je renvoie sur ce point à mon analyse, in Un voyant prodigieux, pp. 399 sq.)

Au regard des exigences actuelles, ces expériences que l’on interrompt et que l’on reprend quelques jours plus tard sembleront sans doute insuffisantes : comment s’assurer qu’entre les séances, il n’y a pas eu des fuites, ou que le voyant n’a pas réussi à capter des signaux subliminaux en discutant avec les expérimentateurs? Il me semble pourtant que si l’on desserre un peu l’obsession du contrôle et que l’on fait confiance aux expérimentateurs, ces expériences mal formalisées et parfois semi improvisées ( comme la séquence finale) comportent plus d’enseignements sur les processus de la métagnomie que des expériences formellement impeccables mais trop rigides. Ici, ce qui est fascinant, et lourd d’information, c’est la marche des voyants vers la cible. Cette marche englobe non seulement les séquences contrôlées mais aussi les phases spontanées , comme la découverte de l’encre sympathique, qui s’effectue pendant un repas de façon informelle. Le processus complet que nous devons analyser comprend toutes ces phases.

Mais le parallèle affecte bien d’autres points qui mériteraient des commentaires. Par exemple, Alexis, comme Ossowiecki, lorsqu’on lui présente une lettre ou une cible fabriquées pour les besoins d’une expérience, et contenant de ce fait un piège ou une difficulté, remonte naturellement au moment de sa fabrication et la vision déborde sur sa périphérie de façon imprévisible, exactement comme un souvenir en appelle d’autres sans que cette liaison ne puisse être contrôlée. Ainsi, lorsque Geley lui présente l’enveloppe contenant la citation de Pasteur, il déclare : « L’homme qui vous a donné l’ encre sympathique est très jeune, il semble plus jeune qu’il ne l’est. Il vous a interrompu alors que vous étiez en train de préparer l’expérience. Je vous vois quitter votre bureau, puis revenir. » ( Revue métapsychique, 1925, n° 2). Comparons maintenant cette séquence avec une épreuve à laquelle Alexis Didier fut soumis par l’actrice Céleste Mogador. Cette dernière chercha à le piéger, en mettant dans un paquet ses propres cheveux, et en demandant au voyant d’identifier l’ami à qui ils appartenaient. La réponse d’Alexis lui ôta à tout jamais le désir de tenter ce genre de manoeuvre. « C’est pas mal inventé , ce que vous faites, vous venez d’entrer dans une chambre sombre, vous allumez une bougie, on vous attend à côté, vous fermez la porte pour que l’on ne vous voie pas, vous vous coupez les cheveux ; tiens, vous les recoupez en petits morceaux, les voici … ». Même scénario quand Alexis décrit et localise la femme qui a volé la bourse de l’amant de Céleste. Quand le somnambule est endormi, la comédienne place entre ses mains le coffret qui contenait l’argent . Et celui-ci assiste aussitôt en direct à la scène du vol : « Je vois une femme qui s’habille, elles sont deux, la plus grande sort. Celle qui reste est petite, brune, elle a une robe claire et un ruban rouge autour du cou. Elle se lisse les cheveux ; elle écoute à la porte… ». C’est cette manière analogue de se rapporter à la cible qui conduit d’ailleurs les deux voyants à des erreurs caractéristiques : il arrive régulièrement que ces derniers décrivent avec précision un objet ou un événement périphérique mais ne voient pas le point précis sur lequel on les a consultés.

Il y a aussi, bien entendu, des différences : Alexis se cantonnait exclusivement dans les processus cognitifs, tandis que le voyant polonais se disait également capable d’influencer à distance les objets et aussi les esprits. Mais ce n’est pas le point qui nous retient ici, ce sont les analogies. Comment peut -on en rendre compte ? Par définition, Alexis n’a pu être influencé par la lecture des rapports d’Ossowiecki . Quant à l’idée que le style oraculaire d’Ossowiecki aurait pu être influencé par la connaissance des séances d’Alexis Didier, je crois, si on ne peut radicalement l’exclure – car Ossowiecki, polyglotte cultivé, était en contact avec des gens qui avaient entendu parler d’ Alexis Didier – je crois que l’on peut cependant la tenir pour négligeable. Le point de contact entre ces deux hommes si différents, qui ont vécu dans des temps si différents, aurait pu être Eugène Osty , car ce dernier expérimenta avec Ossowiecki, et consacra une belle étude à Alexis. Mais cette étude date de 1935 alors que les expériences menées par Geley remontent à 1924. D’autre part, on trouve chez un Gérard Croiset des démarches métacognitives analogues, et pourtant le voyant hollandais, autodidacte ne parlant pas le français, n’a certainement jamais entendu parler d’un somnambule français du XIX° siècle connu des seuls érudits. Ces faits – et bien d’autres que l’on pourrait sans doute accumuler, conduisent à penser que nous avons bien affaire à une structure anthropologique, au déploiement d’une façon spécifique de se rapporter à la réalité, que l’humanité archaïque connaissait fort bien, qu’elle avait intégré dans ses pratiques rituelles, et que nous sommes en train de redécouvrir peu à peu à peu. Cette manière de se rapporter au réel relève d’une démarche qui n’ a jusqu’ à présent été qu’esquissée, mais qui mériterait d’ être développée par une reprise méthodique des documents : la métagnomie comparée.

Les faits de voyance produits par Ossowiecki permettent aussi de réfuter ou au moins de nuancer un présupposé que Freud a contribué à diffuser. On sait en effet que pour le fondateur de la psychanalyse la perception extrasensorielle ( qu’il réduisait à la télépathie) était un mode de connaissance archaïque à teneur exclusivement ou essentiellement affective et symbolique, qui devrait de ce fait passer par une interprétation dont les processus du rêve fourniraient la clé. C’est souvent vrai, mais ce n’est pas toujours le cas, et chez Ossowiecki c’est parfois évidemment faux . Dans certains cas, lorsque par exemple il reproduit des textes écrits ou des dessins, le voyant atteint une précision quasiment visuelle. On trouve des rapports analogues, voire plus sidérants encore, chez Alexis Didier, mais comme il s’agit de séances du XIX° siècle, ou pouvait encore invoquer le laxisme des contrôles. Avec les séances beaucoup plus rigoureuses menées par les expérimentateurs du 20° siècle, cet argument perd sa force ; et l’on trouve, au bout des mêmes processus, la même précision. C’est donc bien que cette précision quasiment visuelle est accessible aux voyants, aux moins chez certains.

A la fin de l’ouvrage, Mary Rose Barrington envisage les conséquences ultimes des faits de voyance exhibés par Ossowiecki, et la discussion devient si riche que je ne puis en reconstituer ici que le fil conducteur principal. Question de départ : lorsqu’il décrit une cible, le voyant puise-t-il les informations dans la conscience de l’expérimentateur, ou d’une personne qui a lien quelconque avec l’expérience – auquel cas ses dons tomberaient sous le registre de la télépathie ? Ou bien au contraire accède-t-il réellement à la chose sans passer par le relais d’une conscience humaine, et alors il faudrait parler de clairvoyance ? Ce vieux problème paraît souvent insoluble ou indécidable, mais, dans le cas d’Ossowiecki, dans certains tests au moins, la deuxième solution semble l’emporter. Ainsi, dans l’expérience du 20 janvier 1935, Ossowiecki obtient une information qui n’était connue d’aucune personne vivante , puisque l’homme qui avait préparé le test, un certain Deniose Jonky, était mort depuis plusieurs années, en emportant son secret dans la tombe . Ou bien, dans le test de l’encre sympathique, il essaie de deviner le texte devenu invisible en regardant les mouvements de la plume sur la feuille de papier, à la manière dont un sourd lit sur les lèvres de celui qui lui parle. Or, ce sont là, remarque justement Mrs Barrington, des démarches dont il aurait pu faire l’économie s’il avait pu entrer dans l’esprit de l’expérimentateur. Finalement, poursuit l’auteur, le processus qui émerge chez le clairvoyant polonais est celui de la clairvoyance rétrocognitive. C’est lui qui traverse tout, qui imprègne tout. Qu’il se porte vers une cible située dans l’espace, dans le passé et même dans le futur, il agit comme s’il se souvenait. Ce qui conduit Mary Rose Barrington à ce constat que nous sommes quelques uns désormais à considérer comme capital : l’acte de voyance est un acte de mémoire. Mais alors, s’il en est ainsi, ces « souvenirs » qu’exhume le clairvoyant, « où » se trouvent-ils ?Et cette question a-t-elle même encore un sens ? (p. 148) Faut-il en revenir aux « archives akashiques » de la tradition ésotérique ? À la vision en Dieu de Malebranche, ou de Berkeley ? Ces concepts de la haute métaphysique nous effraient quand ils ne nous apparaissent pas comme démodés. Les faits produits par des clairvoyants comme Ossowiecki ne sont que la partie émergée d’un iceberg dont nous ne faisons qu’entrevoir la structure. Ils nous ramènent malgré nous vers ces anciennes conceptions. Nous serions comme enveloppés dans une grande mémoire dont nos esprits individuels seraient comme autant de cellules.

Il y a un point sur lequel je ne suis pas tout à fait les analyses des auteurs, c’est la question de savoir pourquoi il n’y a plus d’Ossowiecki aujourd’hui. La réponse apportée par les auteurs est pertinente( p.129) : le psi répond aux demandes des sociétés et prend les visages exigés par le temps et le lieu ; dans une société comme la nôtre, où les exigence de vérité semblent s’évanouir, nous n’avons plus besoin d’un Ossowiecki, et nos contemporains sensibles à ces questions préfèrent rêver sur les « enfants indigo » ou sur la dernière sornette à la mode. Mais la question est de savoir s’il est vrai qu’il n’y a plus d’Ossowiecki. Je me l’étais posée, cette question, à propos d’Alexis Didier, et j’ avais apporté la même réponse. Mais je me demande aujourd’hui si la question était bien posée. Les capacités d’un Moneagle, aujourd’hui, n’ont rien à envier à celles d’un Ossowiecki. Moneagle est capable, dans sa spécialité, de performances absolument sidérantes. Mais ce ne sont plus exactement les mêmes que celles du clairvoyant polonais, précisément parce que les besoins de la société ont changé. Moneagle, par exemple, avait développé ses dons dans le cadre de la guerre froide et avait reçu pour voir à distance les cibles militaires soviétiques un entraînement très particulier, qui favorisait la précision visuelle.

Si vous voulez vraiment savoir ce que c’est qu’un voyant, dêpêchez vous de commander ce livre. Après l’avoir lu, vous ne verrez plus tout à fait le monde de la même manière.